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LES HOMMES, LES DIEUX


Éveil d’une mentalité primitive.


Nos hommes primitifs commencèrent fatalement l’investigation de leur planète par une procédure dérivée de leurs ancêtres animaux, qui — le besoin de vivre tentant de se satisfaire en tous essais d’adaptations, — se trouvèrent d’abord conviés à penser dans la mesure coutumière où l’exigeaient les résistances du monde inorganique ou vivant. Ainsi de tous les êtres. Il faut vivre, dira-t-on plus tard, avant de philosopher. Ambition de date lointaine, toujours satisfaite insuffisamment par la hâte des synthèses à devancer l’analyse.

Cantonnés hors de l’observation, nos métaphysiciens se voient tenus de loger leur âme immortelle, leurs idées innées et leur miraculeuse intuition chez le sauvage comme chez le civilisé — quelque insuffisant que se révèle le crâne de la Chapelle-aux-Saints. Si nous essayions, au contraire, d’attacher simplement nos regards à la simple succession des phénomènes, il deviendrait aisé de comprendre que nos premières enquêtes ne pouvaient s’embarrasser ni d’un classement d’observations positives, ni même d’une métaphysique raffinée. Tête à tête avec un bloc d’incompréhension, les esprits les plus positifs, s’il était alors rien de tel, n’auraient pu concevoir l’idée d’une détermination des phénomènes, tandis que les facilités de l’imagination s’offraient à quiconque, pour franchir tous obstacles, aux chances de l’improvisation.

Avant tout essai d’analyse, la première inquiétude animale fut, sans aucun doute, des mouvements des choses. Que l’homme pût se mouvoir, comment s’en serait-il étonné puisqu’il se sentait à l’état de personnalité indépendante[1], et que l’étonnement ne pouvait lui venir que du monde ami ou ennemi. C’est précisément ce jour-là que fut inauguré le faux point de vue — alors excusable — qui procédait de l’homme au monde pour

  1. Nos métaphysiciens en sont demeurés là.