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LE MONDE, L’HOMME

plémentaire d’éternité. Quant à la responsabilité métaphysique d’une entité à la fois souveraine et subordonnée, simultanément indépendante et dépendante, je ne vois que l’art d’accommoder les contraires pour y apporter le secours d’un supplément d’obscurité[1].

Eh bien, non, ce n’est pas la même chose d’être libres, c’est-à-dire d’agir sans autre cause que nous-mêmes, ou de vivre simplement dans l’inconscience de nos déterminations organiques. Comme attribut de la Divinité, la liberté a, au moins, un sens sur lequel on ne peut se méprendre. Dieu fait tout ce qu’il veut parce qu’il est le plus fort. Comme attribut de l’homme, dépendant de ses organes, et, par eux, des mouvements du monde dont ils dérivent, le libre arbitre ne peut être que du plus grossier contresens. L’homme n’est pas plus affranchi des conditions de sa vie que des conditions de sa naissance, et toute existence est dans ce cas. Pour se conserver et s’accroître l’animal prend des décisions qui sont du même ordre que les miennes, n’ayant certainement, pas plus que moi-même, la sensation des processus organiques par lesquels il se trouve déterminé. Toute vie végétative est reconnue pour inconsciente, dans l’être qui n’en subit pas moins l’invincible loi de ses déterminations. C’est de ce déterminisme inflexible, clairement manifesté par tout trouble morbide, que serait fait notre a libre arbitre » ? « Si l’homme était libre, disait l’abbé Galiani, il n’y aurait plus de Dieu. » C’est d’évidence. Comment pourrait-il y avoir place dans le monde pour deux omnipotences simultanées ? Hélas ! À toute rencontre sommes-nous avertis que nous dépendons.

Le problème du Moi est simplement celui de tout organisme qui, pour la mise en action de ses éléments, doit concentrer l’effort en un consensus déterminé par la loi universelle de la moindre résistance qui imposera, sous le nom de « volonté », la direction des synergies. Nous sommes ce que nous sommes parce que notre sensation de l’ensemble domine le particulier, et que

  1. Autre affaire. À quel moment recevons nous ce don mystique de la liberté ? Est-ce à notre naissance ? On ne voudrait pas soutenir que notre liberté entre en exercice avec notre premier vagissement. À quel moment, plus tard ? Et comment s’opérerait ce transfert ? À quel signe le reconnaître ? La question est posée depuis longtemps. Ou attend toujours la réponse.