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COSMOLOGIE

guérir son prince, les combats des Titans, Hercule et ses travaux, Athéna sortie du crâne de Zeus, Vulcain précipité de l’Olympe, Mars et Vénus surpris sous un filet a mailles d’or, un Dieu qui, pour nous sauver de ses propres rigueurs, a besoin d’être sacrifié par des criminels, qu’il fait criminels et qui seront éternellement damnés pour lui avoir obéi. Qu’est-ce que tous ces contes d’enfant au regard des enchantements de l’univers, avec leurs alternances d’inconscience et de conscience supérieure qui défient les vols de l’imagination la plus puissamment exaltée ?

Vouloir que ces spectacles soient l’œuvre d’un « Éternel » qui n’est lui-même l’œuvre de rien, déplace la question sans la résoudre, puisqu’il ne s’agit, dans tous les cas, que de prendre acte d’une autonomie toute l’affaire étant de savoir si elle sera, ou non, personnalisée. Pourquoi le Dieu ne nous a-t-il pas fait ses « Révélations » conformes aux réalités du monde, au lieu de nous laisser successivement errer d’incohérences en incohérences majorées ? Lorsque nous avons essayé de connaître, pourquoi n’a-t-il rien trouvé de mieux que des supplices pour nous en détourner, au lieu de nous venir en aide ? Pourquoi donc avoir fait nier et officiellement condamner la rotation planétaire, dont il est l’auteur, par les organes exprès de sa Divinité ?

Et le mal, c’est bien la conscience divine qui l’a mis de son plein gré sur la terre. Je ne vois pas là de quoi nous perdre en remerciements. Si l’homme est imparfait, pourquoi ne l’avoir pas fait meilleur ? Pourquoi tant d’atroces misères ? Il y a trop de pourquoi qui déconsidèrent l’œuvre, décidément mal ordonnée, d’une « Toute-Puissance » fabriquant l’homme pour le faire faillir, et le punissant d’avoir subi la loi qu’il lui a, lui-même, imposée.

C’est l’homme pensant, tout de même, ou plutôt destiné à penser, qui a fini par apparaître, dans la douleur ancestrale de ses insuffisances, comme dans l’éblouissement d’espérances dont le sort sera d’être ou de n’être pas réalisées. Seul contre tout, dans la mêlée universelle de toutes les activités élémentaires il vivra de rêves déçus, en attendant l’heure de la philosophie. Avec ses cavernes où campe encore la bête sauvage, avec ses glaces ou ses ardeurs torrides, la terre, qui lui sera amie, lui est d’abord ennemie. Pour « compagnons », les vents, les eaux que le ciel lui envoie, la neige, l’ouragan, les maladies, les cataclysmes en permanence, l’arbre qui, avec l’aliment, lui tend