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AU SOIR DE LA PENSÉE

Dans tous les cas, il est décidément à craindre que le temps qui nous est imparti, pour nous émerveiller de nous-même, soit nécessairement limité. Aux déficits comme aux bénéfices de l’évolution solaire, je ne vois d’autre ressource que de nous résigner. Le degré thermique du foyer central est, nous assuret-on, de 6 à 7 000°, et nous en perdons à peu près 1°4 par année. Ces chiffres ne sont pas encourageants. Qu’importent de misérables siècles ! Pour si peu, les bons habitants des planètes invisibles qui gravitent passagèrement autour des étoiles, connues ou inconnues, ne font pas assez de bruit pour qu’il en vienne quelque chose jusqu’à nous. Même si des phénomènes imprévus devaient nous procurer des sursis, au seuil de l’inévitable, peut-être conviendrait-il de nous recommander, les uns aux autres, une dignité de tenue.

Amendée ou non par Einstein, l’œuvre magnifique de Newton exprime un essai de cosmologie dont la preuve surérogatoire se trouva fournie quand Bouvard, Adams, avec Leverrier plus tard, pour expliquer les perturbations d’Uranus, proposèrent l’hypothèse d’une planète perturbatrice dont ils cherchèrent à déterminer la position sans l’avoir observée. Il ne resta bientôt plus qu’à découvrir Neptune, et c’est ce qui fut fait. Un magnifique témoignage !

Ce n’est pas que les disproportions de l’homme et de son cadre cosmique cessent de dépasser la mesure de nos émotions disponibles. Le soleil, 1 200 000 fois plus gros que la terre. L’étoile Bételgeuse, déjà citée, avec un diamètre qui est 300 fois celui du soleil. La terre à 36 000 000 de lieues du soleil, emportant ses passagers à la vitesse de plus de 100 000 kilomètres à l’heure. Neptune à 1 100 millions de lieues. Tout cela ne figurant que points de comparaison au regard des distances stellaires. À la distance de Neptune, c’est-à-dire à plus d’un milliard de lieues du soleil, la gravité continue d’exercer son action dans ce champ de l’espace, comme sans doute partout ailleurs. Mais comment se représenter ce « partout ailleurs » ? Pour l’homme et les éléments de sa vie, quel ordre de grandeur dans l’au-delà où s’envole l’impuissance de nos rêveries ? Qu’est-ce donc que toutes les magnificences bibliques en contact de notre fragment positif d’infini ? Quand le Dieu de Moïse s’avisa de créer l’univers, quel étrange propos de commencer