Page:Clemenceau - Au soir de la pensée, 1927, Tome 1.djvu/45

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
45
LE MONDE, L’HOMME

Dès ses premiers mouvements, le nouveau-né, de quelque espèce qu’il soit, prend conscience de lui-même par les sensations qui lui arrivent du dehors, soit isolées, soit plus ou moins confusément groupées dans l’ensemble des réactions du milieu. Et, comme de toutes ces conjugaisons de réciprocités se dégage, par l’unité organique de la table de réception, la conscience d’un dynamisme régulateur chacun en vient progressivement à reconnaître, à caractériser son Moi, sa personnalité, en des synergies d’états de sensations prolongées par ce que Jacques Lœb appelle « la mémoire associative ». Comment nier ce consensus unitaire, si manifeste dans toutes les formations de vie animée ? De l’amibe à tous exemplaires d’animalité, trouve-t-on autre chose que des transmissions de mouvements qui se commandent en infrangible interaction ?

Les réactions de sensibilité du protozoaire ne sont pas très différentes de celles du végétal, comme on le voit dans le choix de l’aliment par exemple. La pomme de terre, germant dans l’obscurité d’une cave, n’envoie-t-elle pas sa végétation à la lumière ? Il y a donc une individuation de la plante, un Moi animal, végétal, et même minéral (avec la cristallisation) pour les mêmes causes, et de la même façon qu’un Moi d’humanité, à des degrés divers suivant la hiérarchie des développements ; La plus modeste fleur n’atteste-t-elle pas une évolution de sensibilité personnelle plus vivement caractérisée que les communes manifestations de mimétisme où tant d’hommes cherchent une « personnalité » de pithécoïdes ? Chez les faibles, l’individualité défaillante se masque des procédures d’imitations grâce auxquelles chacun peut se décerner à bon compte une apparence de caractère.

Hésitons-nous, d’autres part, à donner des noms de personnages aux animaux qui vivent dans notre familiarité, et qui entrent si bien dans notre propos qu’on les voit répondre à l’appel dès que leur nom est prononcé ? Le sentiment du « Moi », de la personnalité dans les bêtes de tout ordre, ne se manifeste-t-il pas à tout moment par des actes innombrables de conservation, de prévision, qui, souvent, comme chez nous, l’emportent sur tout les autres ? Si l’animal n’est ni machiné, ni dans la ligne d’évolution qui conduit à l’humanité, qu’on me dise comment s’encadre ses activités ? Ce n’est pas par des négations qu’on atteindra la positivité des phénomènes. L’évolution ou le miracle de toute