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AU SOIR DE LA PENSÉE

Pythagore, d’inspiration mystique, ne peut plus même être discuté. Au moins Héraclite apporte-t-il l’hypothèse de la rotation de la terre. Le soleil, selon lui, tourne autour de la terre et les planètes autour du soleil. Il se peut que ces idées, reprises par Aristarque de Samos, aient fourni des suggestions à Copernic, Aristote met la terre au centre de l’univers, où la laisse Ptolémée lui-même. Le mouvement de la terre paraissait une affirmation contre « l’évidence ». Pour Aristote, qui domine la pensée des anciens temps, le monde est la construction d’un rationalisme divin que l’homme postule selon ses facultés, n’ayant plus, pour tout effort de connaissance, qu’à remonter le cours des phénomènes déduits des desseins supposés du Créateur. C’est alors qu’on aura la fameuse réponse d’un religieux à la découverte des taches du soleil, « qu’il ne peut en être question puisque Aristote n’en a pas parlé »[1].

Rien ne découvre mieux la marche tâtonnante de l’esprit humain que la remarquable étude de M. Lucien Fabre sur les processus mentaux de Copernic en route vers l’observation capitale qui immortalisera son nom. Simplicius, Averroès, Maïmonide, saint Thomas d’Aquin, s’accordent sur « la capitale distinction de la métaphysique et de l’astronomie dite d’observation ». « Quand on raisonne sur les éclipses, écrit Simplicius, il ne s’agit point de découvrir la cause. On se propose simplement, à titre d’hypothèses, des manières de voir s’accordant avec le phénomène en soi, dont l’entité métaphysique doit fatalement nous échapper. » Jusqu’où une telle conception peut nous conduire, l’histoire ne nous l’a que trop bien montré.

En témoignage d’un tel état d’esprit, se peut-il rien concevoir de plus topique que la préface même[2] du livre sur les Révolutions célestes que Copernic garda trente-six ans sur sa table sans oser la publier. On y lit : « je ne doute point que ne soit déjà connue la nouvelle hypothèse qui est le fond de ce livre, et d’après laquelle la terre se meut autour du soleil, immobile au centre du monde. Je ne doute pas non plus que certains érudits s’en montrent grandement choqués, et ne jugent mauvais le trouble apporté aux disciplines libérales depuis longtemps et

  1. Revue hebdomadaire, 10 mars 1923.
  2. Par André Osiander.