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COSMOGONIES

son Dieu personnel dans les livres de l’Inde, dont la Divinité paraît très proche de celle de Spinoza, éminent Asiatique qui revécut d’instinct la pensée de l’Asie, comme la légende veut que Pascal ait fait pour Euclide automatiquement.

Il est entendu d’avance que le Védanta de Sankara est plus déiste que le Çamkya de Kapila qui ne l’est pas du tout. Mais pour l’esprit hindou, quel prisme insaisissable de nuances de l’une à l’autre conception !

D’ailleurs, les pensées se traduisent par des vocables dont le sens, d’une langue à l’autre, ne peut pas toujours se superposer. Ce sens même a varié avec les âges, sans qu’on puisse toujours connaître la signification précise d’hier et d’aujourd’hui. Les nuances de la pensée hindoue sont trop souvent fuyantes — l’excès de précision paraissant plutôt tenu pour une chance supplémentaire d’erreur[1]. Avec ses précieux commentaires, Sankara est un guide de haute qualité. Mais, quelles que soient ses sources, il est du huitième siècle après jésus-Christ, c’est-à-dire loin des origines, et nous le prenons en faute quelquefois. La discussion n’est pas près d’être épuisée.

Avec le Védanta de Sankara et le Çamkya de Kapila, l’Inde a gardé le privilège de la plus haute métaphysique, qui s’offrira quelque jour peut-être pour les conclusions anticipées de l’assentiment universel à la connaissance d’observation.

On a dit le Çamkya athée. Quelques-uns le voient plutôt panthéiste comme le Védanta lui-même. Aucun auteur ne m’a paru mieux résumer la philosophie du Çamkya, selon Kapila, premier inspirateur du bouddhisme, que Bunsen[2] dans les lignes suivantes :

« La nature est sans conscience, sans connaissance, elle n’a pas de but personnel, elle ne fait que servir à l’esprit sans savoir à quoi elle sert. Cependant toute la création repose sur cette combinaison, sur cette coopération. La fin de la vie et de toute activité de la création, c’est le perfectionnement de l’esprit, c’est la délivrance de la nature par l’esprit. L’esprit assiste, comme

  1. Les Pundits, avec qui j’ai essayé d’engager la conversation à, la cour des Rajahs, m’ont paru d’insupportables bavards — parleurs plutôt que savants. D’ailleurs, ils terminaient généralement leurs discours par ces mots : « Vous avez chez vous M. Sénard qui en sait beaucoup plus long que nous. »
  2. Dieu dans l’histoire.