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AU SOIR DE LA PENSÉE

de beauté pour lesquelles il n’est point de mots ? Toute la fête de toutes les espérances sans formules déterminées, l’éclair d’une vie au-dessus de la vie, un rêve d’enchantement réalisé. La sèche précision des paroles, parfois menteuses, a trop souvent déçu l’humanité dolente. Heureux retentissement de l’émotion chantée !

Je ne sais pas par quel excès d’audace j’essaye de résumer en quelques lignes des aspects et des développements de la pensée hindoue. Mon sujet me tient et me mène[1]. Il éclate de toutes parts que l’obscurité des témoignages et la profusion des commentaires rendent presque impossible un sévère enchaînement de vues coordonnées. C’est déjà beaucoup que des linéaments d’hypothèses soient susceptibles de se rejoindre. Par la constitution progressive d’un panthéisme universel qui est demeuré la plus haute conception de nos métaphysiques en direction de positivité, il y aurait à montrer comment s’ordonnèrent, se superposèrent et se fondirent, dans l’âme hindoue, les innombrables postulats de la Divinité. Un tel sujet aurait tôt fait de m’égarer.

On comprend aisément que cette métaphysique supérieure ne peut suffire aux masses populaires dont les besoins simplistes sont de se familiariser avec les mouvements du monde qu’elles sont encore incapables de déterminer, puisqu’elles ne cherchent rien tant que des rites d’intercession cultuelle qui les mettent au plan d’interlocuteurs des Puissances de l’univers. De là, l’inéluctable formation des organisations sacerdotales (dont la Grèce sut si bien se passer) pour des formules de l’inexprimable détermination de l’indéterminé. Le panthéisme védique faiblit, sans jamais s’effacer, aux environs du huitième siècle avant notre ère, devant le brahmanisme plus tard recouvert du bouddhisme — réaction panthéiste, qu’un dernier retour offensif des brahmanes devait finalement emporter.

Merveilleusement brillante fut la période d’Açoka qui, cependant, crut nécessaire d’adresser de temps à autre, aux religieux des deux sexes, des rappels à la bonne règle dont il lui parut que le besoin se faisait sentir. Incroyablement tolérante, l’Inde n’en avait pas moins vu les bouddhistes se lancer à l’assaut des

  1. Je signale au lecteur la vaste étude de M. René Grousset, Histoire de l’Asie.