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AU SOIR DE LA PENSÉE

tion de voir leur modeste denier rejoindre celui d’autrui, pour de bonnes œuvres, profitables au donateur.

Une profusion de lumière électrique assure la continuation de la pieuse kermesse de jour et de nuit. Je ne vois qu’un accident qui pourrait l’interrompre, c’est que la poudrière que les Anglais ont installée au flanc de la pagode, se décidât à faire explosion. La présence du Bouddha est peut-être une assurance. Je le souhaite vivement. Naguère un tigre survint, non invité. Folle de terreur, la bête se réfugia au sommet de l’édifice, ou de bons fusils bouddhistes lui assurèrent un changement d’état dans sa métempsychose. On nous montre encore son image pour perpétuer le souvenir de l’aventure dont on a dédaigné de faire un miracle.

Dans la campagne birmane, de colossales statues du Bouddha surveillent forêts et rizières. D’innombrables vestiges de pagodes pieusement abandonnées aux envahissements des végétations[1], disent le Maître toujours présent. Le Maître ? Ou le Dieu ? Il n’est pas bien sûr que personne se le demande. Pour avoir tenté d’être hommes au sens le plus élevé du mot, Çakya-Mouni, Jésus de Nazareth sont devenus Dieux en dépit d’eux-mêmes. Il m’a semblé que le Bouddha birman demeurait plus près de l’humanité[2].

Dans les raffinements d’un art de primitivité cultuelle, villes et campagnes témoignent, en tous lieux, d’une recherche des floraisons — l’arbre ayant conservé la primauté d’un culte intangible. Ceylan et java, en perpétuent le souvenir par des spectacles sylvestres, Péradénia, Buiten Zorg, où l’entassement des plus belles végétations n’arrive pas à nous rendre les charmes de l’imagination dans les fourrés de l’inconnu. Sur les « jardins français », sur les « jardins anglais », l’Europe se divise. Mais,

  1. À Pagan, sur l’Irraouaddy, il n’y avait pas moins de 12 000 pagodes. L’irruption des Tamouls en a laissé 1 200 dont quelques-unes fort belles.
  2. Rien de plus touchant que la rencontre, de familles birmanes en pélerinage aux mines fameuses d’Anuradjapoura (Ceylan). Le grand Bouddha endormi reçoit aimablement des pèlerins en habits de fête, l’hommage d’une fleur avec la libation venue de la source prochaine. Partout l’illumination du mystique sourire. À Sarnath, où le Bouddha prêcha son premier sermon, j’ai vu des pèlerins birmans apporter des feuilles d’or pour contribuer à en recouvrir le grand stupa. C’est le geste classique de la piété birmane.