Page:Clemenceau - Au soir de la pensée, 1927, Tome 1.djvu/358

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
351
COSMOGONIES

atteste un insigne développement d’imagination et d’observation confondues — dans les flux et reflux de marées du Nil où se succédaient tour à tour les joies de l’abondance et les misères du dessèchement. Ce qui eût repoussé les faibles devint la tentation des forts, et les chances d’une folle aventure firent les déterminations d’un prodigieux empire qui allait devenir, aux confluents helléniques aussi bien que sémitiques, de l’Europe et de l’Asie, l’un des plus insignes fondements de notre civilisation occidentale jusqu’à la destruction de la bibliothèque d’Alexandrie.

Les admirables travaux de nos grands chercheurs nous ont restitué une Égypte vivante, dont les lignes maîtresses vont se précisant tous les jours. Étrangement, une question demeure ouverte : d’où provenait le peuple qui a si profondément marqué son passage dans l’histoire humaine ? La souveraine indifférence orientale, et, sans doute, l’effort continu de l’œuvre poursuivie, ont fait perdre le souvenir d’origines hasardeusement conservées par la légende avec ses fantaisies.

S’ils venaient d’Afrique ou d’Asie, les Égyptiens ne l’ont pu dire ; La question, cependant, n’est pas indifférente de savoir quel pays a pu produire les magnifiques énergies d’un si fécond afflux de civilisation. Pour découvrir dans l’Égypte une colonie éthiopienne, on a argué de l’analogie des écritures ainsi que d’une communauté de nombreux rites civils et religieux — preuve de mélanges ethniques plutôt que de descendance. Interrogés, « les documents hiéroglyphiques montrent, à n’en pas douter, que l’Éthiopie, loin d’avoir colonisé l’Égypte au début de l’histoire, a été colonisée par elle sous la douzième dynastie, et a fait, pendant des siècles, partie intégrante du territoire égyptien. Au lieu de descendre le cours du Nil, la civilisation l’a remonté[1]. »

On n’a pas oublié que la Bible tient les Égyptiens pour un peuple de provenance asiatique. Ne fût-ce qu’en raison des caractères anatomiques transmis par la statuaire[2], il nous serait permis d’affirmer que les sujets des Pharaons (sauf les Coptes, fort mélangés, qui sont plus près des races africaines) n’ont aucun des caractères du nègre. L’examen des momies suffirait

  1. Histoire ancienne, Maspero.
  2. On sait l’aventure de la statue dite du Cheik el Beled, qui fut ainsi dénommée en raison de sa ressemblance extraordinaire avec le magistrat d’un village voisin du lieu des fouilles.