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AU SOIR DE LA PENSÉE

voir mettre en possession de sa planète, fabriquée, à son usage, par on ne sait quel ouvrier dont l’occupation principale devrait être de se débrouiller, par les moyens de l’intelligence humaine, dans l’embrouillement qu’il avait lui-même créé sans raison connue. Adam donne superbement des noms à tous les animaux dont il se fait propriétaire, mais il tremble, et se cache parce qu’il a entendu « une voix dans le jardin ». Le fort et le faible de l’enfant ?

Si ce fut un remarquable mouvement d’évolution mentale d’en venir à se demander quelle était l’origine, la cause du monde, et de l’homme par conséquent, il y avait dans les éléments du problème trop de pentes aux entraînements de l’imagination pour que la solution hâtive ne fût pas de pure méconnaissance, en attendant les essais d’analyse et de synthèse qui demanderont, pour s’affirmer, des âges d’attentive observation[1]. Aucune trace encore de donnée positive qui aurait pu refréner, contenir l’imagination. Pure désorbitation de l’entendement par le choc de deux conceptions de procédures opposées. L’une sans fondement d’expérience coordonnée, et même en criante contradiction avec tout ce que l’effort mental ultérieur nous a mis en état de connaître. L’autre, s’essayant à une construction générale de nos rapports dans les relativités de l’observation. Deux procédures d’intelligence, car on ne peut pas dire méthodes encore, dont il importe de reconnaître les divergences, sans renoncer à les voir se conjuguer empiriquement.

Les premières activités de notre intelligence s’installèrent trop profondément, par l’hérédité, dans notre cérébration de début, pour que nos réflexes, plus tard, aient pu se déprendre sans peine des mouvements qui les avaient conditionnés. Ce fut, ai-je dit, un progrès de pouvoir se tromper. Faux pas inévitable, puisque nos premières conceptions furent nécessairement d’interprétations sans contrôle, jusqu’à ce que nous ayons eu le temps d’apprendre à observer, à coordonner, à penser.

Ce qui surprend toujours, c’est que les progrès de l’expérience

  1. L’idée métaphysique d’une cause fictivement détachée de l’enchaînement universel, fut le premier effort d’une spontanéité de méconnaissance. Le malheur est qu’une sorte de contracture mentale empêche encore tant d’esprits de le dépasser.