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COSMOGONIES

Car la partie d’empirisme des connaissances imaginatives est ce qui pénétra le moins profondément. Pour les fictions, n’ayez crainte : en tous lieux le souvenir en sera pieusement conservé. Même les improvisations de métaphysique élémentaire, fournissant aux mythes un corps de raisonnement, enflammeront les esprits avides d’affirmations invérifiables, et seront transmises, de siècle en siècle, comme le plus précieux trésor des générations à venir.

D’elles-mêmes ainsi les fables se trouveront « sacrées », sauf compte à rendre plus tard à la critique inévitable. Leurs personnages réalisés se disposeront au gré d’un rêve surhumain — réponse d’imaginative aux questions que l’intellectualité du temps, en voie de pressentir, ne permet pas encore d’aborder. Sur des thèmes flottants, l’inconsciente métaphysique du poème sera consolidée en une doctrine de connaissance intuitive par des constructeurs de systèmes qui ne soupçonneront pas ce que c’est que connaitre, ou même simplement regarder.

Si bien qu’à force de pousser dans toutes les directions où les abstractions réalisées nous entraînent, les lueurs de l’inquisitive ignorance des anciens âges aura pu devancer — ô prodige ! — les plus beaux élans de métaphysique présentement couronnés par nos académies. Dans l’Inde, le Védanta déiste (ou à peu près) et le Çamkya panthéiste ont séculairement dépassé les subtilités platoniciennes de l’école d’Alexandrie. Une assez piquante leçon dont l’élite métaphysiquante réussit, sans trop de peine, à ne pas profiter. Il ne peut y avoir une suite ordonnée de progrès mental en dehors de l’observation vérifiée.

Si l’on a la curiosité de consulter les ouvrages où se déroule la revue des cosmogonies de Babylone, du Védisme, du Bouddhisme, des Celtes, des Teutons, des Chinois, des Sémites, des Égyptiens, des Grecs, des Hébreux, de l’Iran, du Japon, de l’Amérique, des Chrétiens, de l’Islam, de la Polynésie, etc…, on ne pourra se tenir d’un effarement aux fourrés de cette épaisse broussaille de somptueuses puérilités où s’attardèrent si longtemps des peuples aujourd’hui candidats aux étiquettes de civilisation.

Les périodes de temps nous échappent, au cours interminable desquelles la lenteur des évolutions dut se traîner obscurément. Nos écritures « révélées » ne pouvaient que représenter des âges sans histoire, dont l’effet fut de conduire les mouvements désor-