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COSMOGONIES

Toujours l’imagination, toujours l’observation.

Il n’est point de domaine qui s’ouvre si largement aux envolées de l’imagination que les doctrines des cosmogonies. La « Révélation » ne s’embarrasse de rien. L’hypothèse scientifique, en revanche, doit non seulement s’appliquer à rendre compte des phénomènes, mais encore faut-il qu’elle s’accorde, de façon suffisante, avec les données générales de la connaissance acquise. C’est bien pourquoi nous fûmes contraints d’attendre si longtemps pour voir Kant et Laplace tenter de substituer leurs hypothèses d’une cosmogonie positive[1] aux affirmations intuitives des premiers âges. Quel que soit l’avenir de ces vues grandioses, dont nos recherches ultérieures tendent parfois à confirmer des parties, elles auront eu le grand mérite d’élargir, jusqu’au seuil des éléments eux-mêmes, les interprétations positives des phénomènes cosmiques qui s’imposent à notre observation.

Pour dire la magnificence des premières cosmogonies, il fallait d’abord des poètes toujours prêts à chanter, plutôt que des « savants » hors d’état, en ces âges, de connaître. Le rythme du poème, la cadence des sonorités paraissaient, alors, d’autorité plus décisive que l’analyse expérimentale dont la notion même ne pouvait encore être proposée. Devançant toute connaissance, poésie et métaphysique primitives[2] s’élançaient de compagnie vers les plus hauts sommets, donnant vie, sans arrêt, à des romans de suprêmes Divinités.

Que des cosmogonies différentes aient pu simultanément retenir l’attention du même peuple, rien de si conforme à la nature des choses, puisque tous mythes relevaient du même

  1. On doit entendre ici le terme de cosmogonie positive dans le sens, non pas d’une Genèse, mais de l’origine des formations cosmiques de notre monde solaire, avec tout ce qui s’en est suivi.
  2. À vrai dire, la métaphysique est une poésie dont le seul tort est de réclamer une créance de positivité.