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AU SOIR DE LA PENSÉE

nous apportant « la solution définitive » des problèmes cosmiques, il lui suffit de dire. « Possesseur de la vérité suprême », rien de ce qu’il a dit ne pourra jamais changer. La « Révélation » nous est donnée. Tout l’effort de notre intelligence ne peut être que de l’accepter bouche bée. L’homme « connaît » ainsi pleinement tout ce qu’il lui importera jamais de connaître. Les conséquences s’ensuivront jusqu’à la consommation de l’espace et du temps.

Chacun sait aujourd’hui qu’il en va fort différemment. L’homme primitif lui-même nous en apporte le témoignage, corroboré d’une ascendance de mentalités en perpétuel effort. Il ne saisit d’abord pas beaucoup plus de la mêlée des choses que l’aïeul anthropoïde aux prises avec les phénomènes dont il se voyait submergé. L’accoutumance apaise le plus vif de son étonnement. Et, cependant, l’évolution commande qu’il s’étonne toujours assez pour se poser, vaille que vaille, quelques sortes de questions, suivies de quelques sortes de réponses. Ce sont précisément ces réponses, d’une fortune organiquement déterminée, qui constituent ce qu’on appelle « la Révélation ». Révélation intuitive qui deviendra par le discours Révélation suggérée, ou, par la violence, Révélation imposée. Au fond, rien de plus naturel puisque question et réponse proviennent nécessairement du même organisme d’humaine mentalité à différents stages de ses déterminations.

Il fallut un long temps pour que ces « Révélations » innombrables (il y en eut, à vrai dire, autant que d’individus) en vinssent à s’amalgamer, à se condenser, à se fondre en des blocs de doctrines fragiles, dont la tradition, aidée d’une écriture tardive, est venue fragmentairement jusqu’à nous.

En ces temps, la question de l’erreur ou de la vérité n’avait même pas de sens. Comment l’inconnaissance aurait-elle fourni les éléments d’une critique ? Où aurait-elle trouvé quoi que ce soit en formes d’arguments ? Une affirmation sans débats possibles, voilà « la Révélation » !

Seulement, le jour va venir où les développements inégaux des mentalités demanderont des comptes, et où, dans les tumultes des pensées humaines, s’engagera la bataille sans fin des Oui et des Non. Pendant combien de siècles les « Révélations » seront-elles aux prises, avant de nous laisser l’informe déchet