Page:Clemenceau - Au soir de la pensée, 1927, Tome 1.djvu/295

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
288
AU SOIR DE LA PENSÉE

lui reconnaître le mérite incomparable d’avoir magnifiquement suscité en nous des convictions capables de nous élever aux actes du don total de nous-mêmes en témoignage de ce que nous tenons pour la vérité. Voyez mourir les chrétiens du cirque, avec l’ultérieure contre-partie des « hérétiques » pieusement massacrés par la légitime descendance des martyrs, tandis que l’expérience positive, avec ses interprétations légitimes, produira plus aisément, dans les foules, une quiétude d’acceptation sereine qu’un acte d’héroïsme pour l’appuyer. Cependant, sous l’action complémentaire de la plus haute émotivité, l’élite des martyrs de la connaissance positive aura péri dans les tortures sous la main de l’Église, comme pour attester que la science, à son tour, peut susciter des sacrifices de désintéressement supérieur, avec cet avantage de n’avoir jamais livré ni un homme, ni même un livre, à la main du bourreau.

C’est que nous évoluons. En attendant le soutien de l’expérience, l’imagination primitive s’est donné pleine carrière dans tous les domaines, au delà de nos relativités. Cependant, l’observation laborieuse a jalonné ses premiers repères, non sans une dépense d’émotions superficielles ou profondes à base de positivité. Libre course au clocher dans les carrières de l’inconnu. Vanité des formules de verbalisme hors des solides fondements de l’expérience vérifiée. Parce que toujours révisable, la connaissance ne cesse de nous offrir, en tous temps, le point d’appui nécessaire pour les plus beaux développements de la vie. Si cette plate-forme de positivité s’élargit par l’évolution de la connaissance, plus étendu, plus grand, plus fécond en heureuses initiatives, sera notre champ d’envolées. Observer pour agir. Imaginer, s’émouvoir, pour devancer la connaissance dans les voies de l’idéal, pour espérer, pour vivre au plus haut de nos rêves : cela vous paraît-il à dédaigner ?

Donc, l’homme, activé d’émotions successivement élargies, pourra suivre l’élan de toutes ses puissances pour entreprendre au delà de lui-même et en réaliser quelque chose dans la droiture de ses moyens. Donc l’évolution des sociétés humaines, partagée entre les activités du développement organique et les inconscientes résistances d’un atavisme obstiné, connaîtra le secours décisif des émotivités d’idéalisme, hélas ! combattues par