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AU SOIR DE LA PENSÉE

servation se trouvera trop souvent débordée par le flot d’émotivités concomitantes qui envahit et submerge tout ce qui est d’impassible expérience — nous fournissant, parfois, des jugements insuffisamment assurés. Des sensations d’objectivité positive à peser, à ordonner, à agir dans une confusion de sensibilités surexcitées qui faussent les correspondances du monde objectif, impassible, et de notre subjectivité en proie aux angoisses de l’heure qui va s’achever. Phénomène d’autant plus propre à nous troubler que, par les glissements de la parole articulée, le langage de généralisation, d’abstraction, de métaphore, est toujours prêt aux défigurations de la pensée.

De quelles compositions d’inconnaissances, de méconnaissances, de connaissances, et d’interprétations émotives l’homme pensant de nos jours est-il donc fait, et comment en est-il arrivé à se voir, à se faire, tel qu’il est ? Quelle ressource, en cet embarras, d’un accueil secourable au doute dont les balances nous tentent d’oscillations sans arrêt ! L’émotion turbulente, prompte à tous mouvements de sincérité ou de feintes, emportera l’activité finale par des composantes de connaissance positive et d’imagination dont la monnaie n’a pas toujours le juste poids au trébuchet.

Doute de connaissance ou d’émotivité ?

Lorsqu’on nous parle du phénomène dubitatif qui, dans les sollicitations de la sensibilité, nous tient en suspens à mi-distance du Oui et du Non, il importe de distinguer. Doute de connaissance ou d’émotivité ? On s’est posé la question de savoir si la sorte de « certitude » fournie par l’appareil émotif ne vaut pas celle qui nous est apportée par l’organisme d’une connaissance expérimentale inductivement coordonnée. C’est une question d’école, cruellement douloureuse à Pascal, où toute la Sorbonne a pu se dilater. À vrai dire, le problème se pose surtout dans l’intimité secrète d’entendements qui se laissent plutôt influencer par le trouble des émotivités générales que par la qualité positive des conclusions inférées.