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AU SOIR DE LA PENSÉE

poison dans la petite masure de Sceaux. Mais que dire de l’affreux reniement de ses meilleurs amis en affolement de lâcheté ? Comment juger l’exécrable ignominie de ces conventionnels qui, tout baignés de sang, vont s’affaler dans les antichambres de Napoléon ! La victime du Golgotha présidant aux bûchers ! C’est le fond de l’histoire humaine. Il faut, d’un œil serein, affronter tous outrages a l’idéalisme rêvé, opposer un cœur impassible aux apparents démentis de l’heure, sans même le fléchissement de la fameuse plainte : « Mon Père, pourquoi m’avez-vous abandonné ? »

Tous les efforts de l’homme sont de vivantes contradictions pour s’essayer, dans les rythmes de ses énergies et de ses défaillances, aux élans successifs d’audace et de modération qui lui permettront d’atteindre lentement des étapes de connaissance et de s’y accommoder. Encore, est-il peut-être des heures d’abandon général plus douloureuses que les sanglantes mêlées. Démosthène qui fut, par la parole et par l’action, l’un des plus grands hommes de l’histoire, ne put qu’illuminer de son auréole le grand reniement de la Grèce qui allait livrer le monde à tous les excès de la force, après avoir ouvert la voie à toutes les splendeurs de l’idée. Retomber du plus beau vol d’idéalisme aux dégénérescences verbeuses où se joue le sort de l’humanité ! Plutôt tout accepter hautainement de la vie, pour soi-même, sans jamais faiblir.

Si j’avais la main pleine de vérités, je l’ouvrirais, dit l’un. Je la tiendrais soigneusement fermée, réplique l’autre. Entre les tentatives de connaître, toujours soumises aux vérifications et les obscures fallaces du verbe trompeur, il est vain de choisir. L’évolution en a décidé.