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CONNAÎTRE

ne pouvait s’achever de vérifications. C’est bien ce qui fait que les « vérités éternelles » passent comme les autres. Dans le seul christianisme, que de « dogmes » contradictoires d’où tant de schismes sont sortis ! Que serait-ce si tous les cultes venaient étaler leurs dissidences « d’infaillibilités » qui ont failli ?

Les « dogmes », nous connaissons leur histoire. Nous en voyons encore naître tous les jours. Le Sacré-Cœur, l’infaillibilité papale, l’Immaculée-Conception. Qu’est-ce qu’une vérité absolue qui se débite par tranches au cours des âges — et de quelle qualité ! — au lieu de se découvrir simplement dans la totale plénitude de sa majesté[1] ?

Il n’y a point deux estampilles du vrai à l’usage de notre connaissance. Et quiconque, en dehors des contrôles de l’observation, nous propose (n’ayant pu l’imposer) une forme de vérité intangible, est d’une tradition désormais épuisée.

Vainement, la modeste, mais puissante, vérité de la terre, toujours en voie d’accroissement, se voit-elle rabaisser à toute heure par ceux-la mêmes qui, profitant de ses conquêtes, osent répudier le plus beau de son effort. Odiosa Veritas ! Comment le même esprit peut-il contenir l’irrésistible besoin de connaître, et la terreur d’une découverte de ce qu’il a cherché ? C’est qu’une épouvante nous tient de soumettre nos ataviques réflexes d’ignorance aux épreuves de l’observation positive, de renoncer aux puériles stupeurs de l’intelligence ancestrale, pour remplacer de prétendues certitudes d’apparences par de prosaïques approximations de réalités.

Donc, tous les honneurs aux déguisements de faiblesses. Tous les dédains à l’ingrat labeur qui nous apporte peu à peu les déterminantes conquêtes de la connaissance, et veut en même temps une virilité de caractère qui demandera du temps et du courage pour s’affirmer. Quelle misère, par contre-coup, de voir les foules, en lutte pour leur affranchissement, oublier, dès que la tentation leur en est fournie, le respect de leur propre cause, au désespoir de ceux qui expient la noblesse d’un désintéressement supérieur. Ce n’est rien pour un Condorcet de boire le

  1. Aussi arrive-t-il que notre croyant, perdu dans l’appareil polythéiste d’un monothéisme verbal, en vient à se faire, pour son usage personnel, un culte à la mesure de ces moyens, sous l’égide d’une de ces demi-Divinités en lesquelles s’est résolu le Père invisible du malheureux Crucifié.