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CONNAÎTRE

masse constante, il n’y a plus de centre de gravité ; on ne sait même plus ce que c’est. » En un mot, la « relativité » d’Einstein met en déroute combien de valeurs précédemment approchées ?

Ne vous étonnez pas de ce spectacle qui, loin de suggérer « la faillite de la science », la montre simplement en action. C’est le constant aspect du chantier de la connaissance humaine depuis qu’elle est instituée, et cela ne changera pas. Nous savons bien, nous savons mal, ou nous ne savons pas, et nous savons insuffisamment ce que nous savons le mieux. Surtout, nous ne pouvons distinguer, entre ces catégories, qu’avec l’expérience du temps. Les « croyances » qui ne sont que des suppositions renforcées par l’interdiction du débat, ne nous ont pas affranchis des conditions cosmiques par lesquelles nous sommes déterminés. Parce que nous sommes de relativités, notre construction de connaissance est toujours à reprendre — de confirmations et d’incertitudes mêlées. La conquête du savoir sur l’hypothèse et de l’hypothèse sur l’inconnu, procédant sans relâche, nous nous léguons les uns aux autres une somme de compréhensions toujours mouvantes, toujours rectifiables, toujours accrues.

Qu’importe que nos lois du monde ne soient jamais qu’approchées ? Si nous ne trouvons pas Dieu expérimentalement dans la nature, ce n’est pas l’« âme » des métaphysiciens qui pourra l’objectiver. « Quand nous demandons quelle est la valeur objective de la science, cela ne veut pas dire : la science nous fait-elle connaître la véritable « nature des choses » ? Cela veut dire : nous fait-elle connaître les véritables rapports des choses… Non seulement la science ne peut nous faire connaître « la nature des choses », mais rien n’est capable de nous la faire connaître, et si quelque Dieu la connaissait, il ne pourrait trouver de mots pour l’exprimer. » Ainsi dit placidement M. Henri Poincaré. Notre savant ajoute même que, si l’explication nous était donnée, « nous ne pourrions rien comprendre de la réponse », et qu’il se demande même « si nous comprenons bien la question ». En d’autres termes, nous pouvons aligner les mots : « Dieu » ou « la nature des choses », aussi bien que toutes autres dénominations d’une subjectivité sans déterminations, mais nous ne saurions dire ce que ces rencontres de sonorité signifient. La métaphysique « de la Chose en soi » ! La lumière par le moyen de la fumée. Autrement suggestive, se trouve la détermination des rapports dont le clas-