Page:Clemenceau - Au soir de la pensée, 1927, Tome 1.djvu/274

Cette page a été validée par deux contributeurs.
267
CONNAÎTRE

positive a déjà suscité et suscitera encore d’autres formes, non moins belles, d’émotivités. Le Bouddha, le Christ, garderont leur grandeur. L’idéalisme de notre connaissance positive appellera des mouvements de sensibilité qui ne feront pas moins d’honneur à la noblesse humaine. Et si nos enfants peuvent faire mieux encore, nous mourrons fiers d’y avoir contribué, fut-ce par l’insuffisance de nos propres succès.

La sorte de « connaissance » à laquelle nous sommes destinés peut être représentée, comme j’ai dit, par des repères de poteaux indicateurs. Je m’en tiens là sans aucune peine, après avoir médité, en noble compagnie, sur la valeur de la science, telle que la cherche et l’atteint même parfois, avec une émouvante ardeur, l’intelligence mathématique de M. Henri Poincaré. Il se passera peut-être un assez long temps avant qu’un guide plus allant se charge de nous conduire. L’imperturbable sérénité du savant, aussi bien que du philosophe, sera d’un grand recours pour qui ne voit, dans l’obstacle du doute, qu’un encouragement à l’effort. L’aisance du maître se plaît à tous obstacles. Nous ne sommes point tenus de le suivre aveuglément. Mais si nous mettons notre main dans la sienne, même incertains encore, nous n’aurons point à le regretter.

L’audace même de l’argument des probabilités n’est, tout au fond, que la recherche d’une assurance supplémentaire à ne point négliger. Et lorsqu’on nous dit que le « savant » se trompe moins souvent que le « prophète », en ses chances de pile ou face, que fait-on, je vous prie, sinon de reconnaître la hardiesse de l’homme qui tient un anneau de la chaîne cosmique et n’entend pas le lâcher ? Ultime modestie dans une audace ultime : voilà l’état d’esprit qui pourra nous conduire à l’indicible joie des prises de contact avec les éléments de l’univers sans fin. Qu’importent les résistances de ceux qui, ne pouvant s’élever jusque-là, nous proposent de rompre la ferme emprise pour d’illusoires satisfactions de mots réalisés ?

Comment l’homme qui entreprend de rapporter le monde à lui-même, c’est-à-dire de se prendre pour mesure de l’univers, pourrait-il rien saisir des phénomènes, aussi bien dans leur ordre que dans l’estimation de leur valeur. Qui nous a délivrés de cette chimère ? se demande M. Henri Poincaré. Ceux qui nous ont montré que la terre « n’est qu’une des plus petites planètes