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AU SOIR DE LA PENSÉE

connaissance, l’homme de volonté s’en trouvera recru, grandi, rasséréné. Il fera bien ou mal à la mesure de son intelligence, et, surtout, de son caractère. Il donnera le réconfort de l’exemple. Et, même, avant de retourner au réceptacle élémentaire d’inconscience et de conscience pour d’éternels devenirs, s’il peut réaliser pleinement l’éclair d’une compréhension qui commande la valeur d’une vie personnelle dans un océan d’irresponsabilités, sa leçon sera la plus belle qu’il puisse être d’une destinée.

À quelles conditions ?

Voir la vie du plus haut, sans cesser de tenir aux profondeurs par des ténuités de sensations dont le dernier fil n’attend plus que le coup de ciseau de la Parque inflexible. Se trouver ainsi, en quelque sorte, à mi-chemin de la terre et du ciel : trop près de la terre pour ne pas lui appartenir tout entier, et trop en vue du prochain engrenage des énergies irrésistibles du Cosmos pour ne pas s’offrir loyalement à la maîtrise suprême des inconscients passages de l’éternité.

En arriver, par là, au recueillement désintéressé qui doit permettre enfin le retour sur soi-même pour un suprême renoncement aux appels décevants de la vie — autre affaire que de vivre dans l’éternelle transe de se demander si l’on vivra heureux ou malheureux lorsqu’on ne vivra plus !

Se poser, au plus profond de soi-même, les questions auxquelles la plupart préfèrent se dérober, et, sous la pression de l’heure, en venir à la probité de se situer courageusement dans son compartiment du monde, pour connaître, par l’univers, ce qu’il peut être de soi, et par soi-même, d’une meilleure adaptation d’un organisme déterminé.

Tenir placidement pour acquis les résultats moyens des principales enquêtes de la connaissance générale à chaque journée, en refusant de se laisser déprendre de la rigoureuse coordination des activités élémentaires. Rejeter, au même titre que les anathèmes des oratoires, les lieux communs d’une incohérence « cultivée », mise au service profitable des puissances ancestrales d’intellectuelle ankylose.

S’attacher surtout aux irrésistibles courants de l’évolution générale. Assez d’élan pour accepter les communes chances d’errer, assez de désintéressement pour comprendre que, sans quelque débordement d’audace, il n’y a point d’action, même modérée.