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AU SOIR DE LA PENSÉE

connaissance, l’homme saisit d’une main hâtive le gouvernail qui vient s’offrir pour les navigations hardies dans l’éternel remous d’écueils non encore relevés. Il y échappera peut-être. À l’imagination, qui le rejette au large, s’offrira l’observation des astres qui le ramène au rivage. À l’expérience planétaire des coups de sonde révélateurs au travers des espaces célestes reviendra le contrôle des conjectures par lesquelles il essayera de faire le point. Faire le point, voilà la raison d’être et la fin des suggestions de la connaissance. C’est un « miracle » pour lequel il n’est besoin que de la boussole et du soleil.

L’accroissement de puissance mentale produira-t-elle en même temps l’évolution correspondante de l’ordre de volontés qui détermine le caractère ? je ne saurais le soutenir. Il faut savoir pour pouvoir, mais ce n’est pas assez de savoir. L’outil ne suffit pas à faire l’ouvrier qui demande la continuité de l’effort par des tensions de volonté. Cependant, à considérer l’homme divers, sous les différents aspects de sa course à la connaissance, on constatera que la tentative aboutit au moins à tremper les caractères, et que le sentiment s’élève à mesure que l’homme grandit par l’effort.

Quelques-uns, sans doute, purement réceptifs, ne feront peut-être pas beaucoup mieux que des machines à répéter. Mais dans le nombre, des volontés de connaître se dégageront de la foule pour l’entraîner, pour la guider. Et si les appels ne sont pas toujours concordants, puisque les doctrines ne sont que d’évolutions au passage, encore arrivera-t-il que chacun, pour se frayer sa route, obtienne de la connaissance une orientation générale qui lui permette d’entrevoir, sinon d’atteindre, les sommets. Il aura connu les joies supérieures de la vie, celui qui s’affermira dans l’obstination de connaître pour la compensation d’espérer.