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AU SOIR DE LA PENSÉE

de l’onomatopée, comme l’attestent, dans l’Inde, les fines sonorités métalliques de l’oiseau-forgeron reproduisant, à s’y méprendre, le battement du marteau délicat sur la petite enclume argentine de l’orfèvre. En résumé, avec l’accompagnement de gestes, cris, chants, sons articulés établissant un rapport entre la sensation et le signe qui l’exprime, les idées prennent corps en des formes de représentations liées. Cependant les réflexes, qui tiennent lieu de cogitations primitives aux foules tâtonnantes, ont condamné les premiers hommes à se contenter d’obscures impulsions d’inconscience qui, transposées dans les énergies cosmiques, se trouveront divinisées par ce que Max Muller appelle une « maladie des mots », où il serait plus simple de ne voir qu’une aberration organique du sujet.

Car, il ne s’agit, au vrai, que d’une phase d’évolution, très longue à nos mesures humaines, puisqu’elle réclame une durée de siècles, tandis que, dans l’infinité du Cosmos, elle n’a que la valeur d’un battement d’éternité. Connaissance et méconnaissance viennent du mot, purement subjectif, qui permet les associations de sensations, mais nous égare dès que les apparences nous conduisent à l’objectiver. Il faudra que les exaltations d’ignorance imaginative cèdent la place tôt ou tard aux ingrats mais féconds labeurs de la positivité.

Quand le métaphysicien, en ses cavernes de verbalisme, nous offre triomphalement les produits de sa fabrication — âme, esprit, Divinité — hors de toutes dépendances et conditions cosmiques — nous ne pouvons le reconnaître que pour le présomptueux possesseur de mots fétichisés. Il attribue, de sa propre insuffisance, une réalité de vie à des sonorités verbales, ce qui le dispense de toute recherche objective, tandis qu’il faudra le labeur des âges pour découvrir simplement dans les mots l’expression subjective des synthèses organiques par les effets desquelles nous sommes déterminés.

Comme synthèse d’absolu, le mot « Dieu » n’a pas d’autre origine qu’une conception purement subjective de l’universelle objectivité, facile à parler, impossible à faire vivre. Les bonnes gens qui veulent triompher d’emblée de nos insuffisances n’arri-

    pour lui un rapport nécessaire entre la venue d’un étranger et le besoin d’un avertissement.