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CONNAÎTRE

organes apparentés, les généralisations, les abstractions, promptes à devancer l’observation positive, retrouveront leur haute valeur cogitative hors des anciens glissements d’aberration.

Les mouvements de la vie des mots ont fait l’objet d’observations nombreuses, tandis que leurs réactions profondes sur les activités de l’intelligence ont été, pour des raisons faciles à comprendre, trop souvent négligées. C’est la funeste aventure de l’abstraction réalisée. Dans le cadre des déterminations psychologiques de la voix articulée, le principal obstacle aux pénétrations de notre analyse résulte d’une nécessité (pour notre compréhension) des classements de phénomènes en des cloisons purement subjectives, fournies par les commodités de l’abstraction[1]. Grâce aux signes verbaux, nous stabilisons des compartiments de pensées où des associations et des dissociations subjectives d’images, représentant des objectivités élémentaires, nous permettent des coordinations d’états de mentalité.

Les plus hauts degrés de la cérébration animale ne peuvent s’élever jusqu’aux développements d’une telle activité organique. Et, comme il n’y a de connaissance que par des classements de coordinations, nous voyons la bête la plus intelligente s’arrêter court aux clairières de nos compréhensions. Les mouvements de sensations dont se composent les relativités de notre entendement, si profondément affermies par l’intervention du langage, qu’en pourrons-nous dire si nous en commençons l’étude hors des premières évolutions de la vie ? Où rencontrerons-nous le phénomène de l’idéation, qui est la formation de l’idée, c’est-à-dire une représentation d’images associées aboutissant à des effets d’assimilation ? Le bon ordre des coordinations de nos états de sensibilité veut l’analyse des complexes de sensations passagères dont les enchaînements font notre état de mentalité.

La métaphysique ne pouvait manquer de défigurer le phénomène par l’attribution d’une réalité objective aux idées, comme le voulait Platon. Le Moyen Age en a fait grand bruit, et la mode en est demeurée chez les derniers survivants de l’école. Aujourd’hui, nous ne pouvons plus voir dans l’idée que l’effet des acti-

  1. Ce qui a conduit Cuvier à vouloir une création séparée pour chaque espèce, considérée comme une entité.