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CONNAÎTRE

sique à tout faire s’acharne vainement dans l’interrogation d’un fantastique Moi, d’existence sublimée, tout à point pour les « miracles » de l’intuition.

L’intuition consiste, pour découvrir le monde, à le chercher, non pas dans les images sensorielles du dehors qui ne peuvent décevoir que jusqu’aux rectifications prochaines, mais dans le Moi miraculeux du métaphysicien qu’on nous donne pour indépendant de cet univers par lequel il est conditionné. Renverser l’ordre des phénomènes, chercher les conditions du monde matériel dans l’immatérialité d’une substance inobservable, telle est la procédure qu’on nous donne pour supérieure à l’observation de positivité. C’est comme si l’astronome s’avisait de besicles extérieurement garnies d’une couche épaisse de fumée, dans l’espérance de mieux voir. Comment sa rétine rencontrerait-elle autre chose qu’un miroir d’obscurité, où pourront s’inscrire tous flottements d’une imagination désemparée — telles ces nuées où Hamlet découvrait ses chimères à l’œil complaisant de Polonius ahuri.

je n’ai garde de confondre l’intuition des métaphysiciens avec l’intuition mathématique qui n’est qu’un phénomène d’imagination vérifiée. Ce que « l’intuition » de métaphysique cherche et prétend trouver dans l’homme, c’est un reflet du monde extérieur au delà de ce que l’observation directe peut nous en révéler. Si l’abstraction réalisée lui offre un verbe où se prendre, comme le mot « Dieu », l’intuition prétendra nous en faire conclure que nous avons la « connaissance » d’une réalité correspondante, et que cette « connaissance », sans élément d’observation positive, est la preuve d’une réalisation de la « Divinité ». Voilà comment la voie intuitive se présente pour nous faire découvrir, dans la fragilité d’une sonorité verbale, le fondement de l’univers subjectivé.

Aux mathématiciens, le mot intuition s’offre différemment parce que, selon la parole de M. Henri Poincaré, leur discipline est « celle qui emprunte le moins de notions au monde extérieur ». Il « semble », en effet, que le principal en soit tiré de notre imagination, à charge de vérifications à venir. Cependant si, comme le dit notre auteur, « la mathématique est de donner le même nom à des choses différentes », il faut bien que ces choses, le monde extérieur nous les fournisse en nous laissant le soin de les en-