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CONNAÎTRE

à tout moment des figurations d’énergie si fortement liées que nous ne pouvons les déprendre, pour les assimiler, que par de conventionnelles voix de signes évocateurs. Or, plus nous détachons le signe verbal du mouvement qu’il veut exprimer, plus une déviation trop explicable nous incite à le vouloir réaliser. Et cette aberration, elle-même, il faut bien le dire, n’est pas sans contre-partie, puisque nous y rencontrons l’amorce d’un effort pour donner cours à l’envolée de l’homme au delà de lui-même vers une vue chimérique de ce qui n’a pas même besoin d’être pour nous éblouir d’une hallucination d’entité.

Si notre Divinité subjective s’en était tenue là, des évolutions de connaissance l’eussent maintenue provisoirement peut-être, sous d’incertaines dénominations, aux régions les plus obscures de notre émotivité. Inévitable retour des choses, nous avons pâti de l’insuffisance mentale qui l’avait créée. Des siècles d’une prédication de bonté ont abouti à des massacres, à des bûchers. Des siècles qui, de notre éphémère point de vue, s’expriment par les cruelles souffrances que nous nous sommes à nous-mêmes infligées et que la bienveillante mort nous fournira l’heureuse fortune d’oublier.

Est-il donc si difficile de se reconnaître, dans les phénomènes de l’évolution mentale ? L’homme pouvait-il se défendre de l’abstraction réalisée, au moment même ou il la modelait, vivante, dans l’impassibilité des choses, pour lui confier le meilleur de ses espérances, de ses volontés ? La marche à l’idéal le plus élémentaire voulait la représentation d’un idéal d’abord, comment qu’il fût façonné. L’aveuglement qui s’ensuivit, pour l’avoir voulu regarder de trop près, s’explique de rétines rudimentaires. L’inévitable rectification est en voie de s’accomplir.

Car notre élan de recherche ne s’épuise pas tout aux résistances des phénomènes. Le prestige de la connaissance à venir ne cesse d’appeler de nouvelles ressources d’énergie. C’est la haute vertu d’un idéal, toujours présent, toujours fuyant, en qui l’évanouissement de la Divinité n’a rien enlevé de son puissant ressort. Si forte est l’impulsion que toute la vie s’en trouve déterminée. L’ordinaire mesure de nos énergies organiques y paraît même souvent dépassée. Aspiration vers l’achèvement d’une évolution en devenir qui nous animera d’une chanceuse anticipation d’in-