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AU SOIR DE LA PENSÉE

nité reste sourde à leurs vœux. Avec l’évolution de l’homme, les Dieux n’ont cessé d’évoluer eux-mêmes jusqu’à nos présents jours. Les légendes succèdent aux légendes pour aboutir au même épuisement des émotivités, aux mêmes gestes, aux mêmes effets. Il est si facile de dire. Il est si difficile de vivre la parole ailée. Les plus belles prédications se donnent cours. Il n’y manque que l’efficacité. Bossuet osait approuver les odieuses violences des « dragonnades ». S’en trouvait-il aussi qualifié qu’il pouvait croire, pour de profondes suggestions de charité ?

Les rites cultuels expriment un absolu de croyances qui prétend échapper au changement, alors que l’homme ne cesse de changer. C’est la fondamentale discordance. L’élan d’une aspiration de plus en plus haute, ne pourra que suggérer toujours des réalisations de relativités supérieures. Pour les développements d’une énergie de réalisation, il faudra d’autres ressources de volontés, d’autres puissances de désintéressement que le modeste bagage de sentimentalités qui peut suffire à de vulgaires existences, figées hors des hautes émotivités génératrices des plus beaux moments de notre vie.

Que peut la morale d’un salut personnel, à l’issue du terrestre séjour, sinon faire appel, sous le masque d’un altruisme parlé, aux appétits d’égoïsme organique manifestés dans toutes les formes des activités de conservation. Aider de rencontre, pour être éternellement sauvé, n’est-ce pas, pour le fidèle, un assez bon marché ? Ne se peut-il concevoir d’ambition supérieure ?

Une courageuse acceptation de la destinée terrestre s’imposera tôt ou tard, puisqu’une évolution ordonnée d’énergies nous y conduit nécessairement comme l’indique le progrès général des âges, pour le bénéfice de tous et de chacun. Plus nous pourrons donner de nous-mêmes, plus heureuse et plus belle aurons-nous fait notre vie. L’ignorance ne peut que nous faire régresser par les prédominances d’un atavisme prolongé. Le premier effet d’une connaissance commençante du monde et de nous-mêmes nous a d’abord rehaussés à nos propres yeux. Imparfaits produits d’une perfection divine, nous n’aurions en perspective que des degrés de déchéance par des manquements inévitables. Évolutions croissantes des relativités organiques, nous nous mettons en route, au contraire, vers de futures grandeurs. Comment résister à l’appel des allégresses de vivre dans les données de la