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AU SOIR DE LA PENSÉE

L’accord des désaccords.

Ma parole du dernier jour sera-t-elle donc d’abdication mentale, ou d’accueil ami aux vérités relatives dont l’éclat grandit à chaque bond des générations successives vers un accroissement du savoir ? Mon choix est fait. Comme tous, j’ai vécu des efforts des générations précédentes. Ne me dois-je pas à moi-même, comme à ceux qui déjà se pressent aux portes de la vie pensante, d’accepter le noble héritage de labeur, même pour un bilan de conclusions toujours susceptibles d’être révisées ?

Constatation d’expérience, cela n’est plus du rêve. Mais avant de se demander comment la pomme tombe de l’arbre, pendant combien de millénaires, aux spectacles des choses, l’homme a-t-il trouvé plus commode de ne pas même en rêver, tant le phénomène, qui suffit à Newton pour une formule positive des mouvements cosmiques, paraissait indigne d’arrêter ses regards. Cependant, tandis que se poursuivait l’évolution qui détachera le fruit de l’arbre nourricier, l’évolution mentale, résumée en l’homme de science, mûrissait depuis des siècles d’observations et de rêves confondus, pour une interprétation positive des enchaînements cosmiques manifestés par l’expérience de l’universelle gravitation. Réalité d’emprise plus émouvante que tous les rêves. Le plus beau couronnement d’une pensée.

À l’heure même du triomphe de notre science, gardons-nous de maudire ces rêves qui ont survolé et survolent encore le berceau des sociétés humaines, alors même que l’excuse des brouillards d’ignorance ne peut plus être alléguée. Nos méprises, avec leur fragments d’observation inachevée, n’en ont-elles pas moins offert au passé le bienfait d’une aide pour la vie, et nous est-il possible de l’oublier quand la fleur de jeune beauté s’en est évanouie ? Qui donc voudrait dire, quand tout atteste le contraire, que nous n’avons pas, que nous n’aurons plus besoin de rêver ?