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RÊVER, PENSER

Contre-parties.

Ce ne serait point de l’homme qu’il n’y eût des contre-parties. On ne fait pas sans peine sa juste part à l’imagination. S’il ne suffit pas de nous induire au risque de dépasser le but pour accroître nos chances de l’atteindre, et si nous en arrivons à demander au rêve la fixité des premières apparences pour vivre une vie désorbitée par des fantômes, alors nous réalisons la mise en scène des théologies successives dont l’œuvre est de nous régie selon les décevantes formules des temps où l’on ignorait. Le danger des rêves ataviques, une fois déchaînés, sera de nous vouloir maintenir dans les brouillards des âges ballotés de méconnaissances, créateurs de fictions que nul n’avait le droit, ni le pouvoir de contrôler.

L’une des conséquences est que nos enfants en sont venus à recevoir de nous, simultanément, avec des connaissances d’observation positive dont ils ne sauraient se passer, d’antiques versions des cosmogonies d’ignorance, revêtues d’un caractère suprême d’autorité. Pressé de vivre, ils se décideront d’autant moins à choisir que le discrédit social guette qui se laisserait séduire par les probations d’expérience. Ainsi notre jeunesse apprendra qu’il y a deux « vérités » inconciliables, l’une d’observation circonscrite, l’autre de dogmatisme universel qui prétendent contradictoirement s’imposer. L’une, puissante par la discussion toujours offerte et l’acceptation générale qui s’ensuit ; l’autre, prétendant dominer l’homme tout entier par des formules d’une « Révélation infaillible » sous la garde de châtiments éternels. Comment la contradiction insoluble n’aurait-elle pas conduit à de mortels conflits ? Notre sort fût de nous entredéchirer pour des mots, quand il n’était besoin que de constatations de l’expérience pour nous accorder. Mais la foule préfère geindre cultuellement, en détournant la tête, dans l’effroi d’une crudité de lumière dont son rêve débile ne peut s’accommoder.

Et pourtant, même après de si fâcheux écarts, nous ne sau-