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AU SOIR DE LA PENSÉE

réaction sensorielle classe dans l’ordre des réflexes les premiers sursauts de sensibilité, d’intelligence, de conscience, aux rencontres du phénomène extérieur. Et comme ce phénomène extérieur, elle ne peut encore l’interpréter d’une façon positive, il lui reste le secours de l’interprétation imaginative en vertu du principe du moindre effort. Ainsi, puisqu’il faut que la sensation s’enchaîne à une activité organique, voyons-nous surgir ces ébauches imprécises de sub-connaisances qui se distinguent si peu de certains rêves d’émotivités — premiers tâtonnements du connaître qui gardent trop souvent le pas sur les connaissances les plus qualifiées. Ce n’est pas que des unes aux autres des liens ne se découvrent. La vérité d’aujourd’hui peut avoir été l’erreur d’hier et peut devenir, par l’accroissement de la connaissance, l’erreur de demain. Nous manifestons des états d’esprit correspondant plus ou moins exactement à l’objectivité des choses qui se découvre lentement à nos yeux. Aussi, oserait-on dire, de ce point de vue, que l’erreur peut être une vérité en devenir, et la vérité une erreur dépassée. Cependant, nous vivons de parties d’inconnaissances, de méconnaissances et de connaissances croisées de conjectures, auxquelles nous nous abandonnons avec plus ou moins de satisfaction. La fonction de notre intelligence est de nous engager dans les directions de la connaissance, et l’on peut dire que depuis un nombre respectable de siècles, ce pas décisif est franchi.

Aux prises avec l’expérience des choses, les grands rêves religieux ont évolué du poème des légendes aux sécheresses de l’écriture métaphysique qui les a dénaturés. Quelque fortune qui nous attende, il est permis de croire que la science expérimentale est fondée. Sans doute, le nombre est trop grand, et le sera longtemps encore, des aveugles conduisant des aveugles, selon le mot de l’Écriture elle-même. Hélas ! On a plutôt fait le saut dans l’abîme que de remonter au grand jour, après s’être asphyxié d’absolu.