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AU SOIR DE LA PENSÉE

notre destinée. La vie ne se peut déprendre du rêve dont elle est obsédée.

Je marche tout vivant dans mon rêve étoilé,
s’écrie le héros d’un drame fameux, au bord de la catastrophe suprême. Enivrement de notre humanité triomphant d’une joie anticipée de vivre son rêve, au risque d’une simple hallucination : deux moments qui ne sont pas toujours faciles à distinguer.

Ce qui aggrave la confusion inévitable, c’est que les figurations du rêve, enserrées dans les contingences organiques de nos compréhensions successives, évoluent d’un cours parallèle à celui des connaissances confirmées. Pour synthétiser le phénomène, il faudrait peut-être parler d’évolutions passagèrement correspondantes de l’erreur et de la vérité. Mais beaucoup d’esprit pourraient s’en trouver déroutés. Il est cependant assez clair que les puissances d’imagination, loin d’abandonner leur emprise sur les développements de l’humanité, ou même de reculer simplement à mesure que progresse la connaissance positive, ne font que puiser, à toute heure, dans l’océan d’inconnaisance, de nouveaux éléments d’énergie pour des efforts de puissance ou d’impuissance toujours à renouveler. Le rêve, au début de la tentative de penser, ne se présentera d’abord que pour s’élancer au delà d’un état de mentalité recru d’idéalisme, dont l’effet sera moins de déterminer l’inconnu que d’en figurer au hasard des déterminations.

À ne citer que le cas le plus frappant, n’est-il pas manifeste que la conception moderne de l’atome et de ses mouvements, qui en font un chaînon de notre système solaire inclus dans l’évolution de la nébuleuse, nous met en marche, vers une conception de l’unité Matière-Énergie, par de retentissants appels à des enquêtes plus précises en même temps qu’à des envolées de l’imagination. Le rêve ne peut pas être tout de mensonge, puisqu’il nous tient par des attaches organiques d’observation confirmée. L’hypothèse est un rêve qui appelle le jour où des parties caduques devront s’éliminer pour faire place à de plus stables éléments de pensée. Nous n’avons donc à condamner aucune de nos procédures d’intelligence, en attribuant à l’une la fabrication de l’erreur, et à l’autre la production