Page:Clemenceau - Au soir de la pensée, 1927, Tome 1.djvu/196

Cette page a été validée par deux contributeurs.
189
RÊVER, PENSER

de généralisations contrôlées. Aux temps des primitives formalisations de l’espèce humaine, il ne pouvait y avoir nulle raison de contrôle. Cependant, le drame se nouait. La trame de l’histoire humaine est de l’évolution de la connaissance dans la rigide étreinte d’une gangue de méconnaissances qui se rompent lentement, sans pouvoir du même coup se détacher.

Ce n’est pas encore le temps de s’arrêter aux deux formes de cérébration dans une même intelligence : les envolées prime-sautières de l’imagination et les lentes reptations d’une expérience tardivement appréciée. Dans la forme du rêve, nous avons commencé de penser, au prix des plus graves écarts d’une trop prompte aspiration vers une connaissance en prime saut. Fausser tout à coup compagnie à notre premier « guide », n’était-ce pas désailer le plus vif et le plus beau de nous-mêmes ? L’illusion de la voûte bleue nous appelait, et le jour où Montgolfier nous fit espérer une revanche de la chute d’Icare fut comme une reprise expérimentale des ancestrales poussées d’imagination vers l’au-delà. Les rigueurs d’une observation positive, dont une folle ardeur voudrait nous affranchir, nous repoussent et nous invitent tour à tour. C’est l’inconnu que nous voulons étreindre. Par quels chemins nous élancer jusqu’à lui ?


À la barre.

Cependant, le monde et l’homme sont en présence, comparaissant tour à tour à la barre l’un de l’autre. Le monde infini, éternel, animé de mouvements que nous ne pouvons dériver en direction de notre avantage qu’à la condition d’y céder. L’homme, infime molécule du Tout inexprimable, sollicité, d’abord et toujours d’un élan d’investigation irrépressible en vue de conduire une part des énergies universelles à ses propres fins.

Harcelée d’interrogeante ignorance, fiévreusement anxieuse de savoir d’où elle vient, où elle va, et quel emploi faire d’elle-même au cours du terrestre passage, la foule vagissante arrive au terme inévitable avant que d’avoir pu rencontrer, ou même