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CHAPITRE V

RÊVER, PENSER.

Cette obscure clarté…


Rêver le monde ou le penser, pour le vivre dans les développements élémentaires où le Moi se trouve inclus ? Du rêve à la pensée, où saisir la limite qui fit l’effarement d’Hamlet ?

Nous donnons le nom de rêves à des retentissements automatiques de sensations discoordonnées, tandis que la pensée, ou détermination subjective de rapports, suppose des sensations normalement liées par les rencontres du dehors. Pourquoi rêver, c’est-à-dire se confier à de flottantes figurations d’un roman mondial, quand il y a des réalités du monde à connaître — les réalités de l’homme au premier rang ? Imaginer, parce qu’on a besoin de comprendre, et qu’on n’est pas encore en état d’observer. Construire d’hallucinations ce qu’on appellera la « connaissance », en attendant l’heure où l’expérience nous apportera les déterminations d’un classement subjectif d’objectivités.

Aux premiers tressaillements des origines humaines, comment aurait-on distingué le rêve de la pensée ? Aucune délimitation, aucun ordre n’était encore possible dans les mouvements tumultueux de l’organisme mental s’efforçant au-dessus de l’animalité. Aucune vue ne pouvait s’offrir de phénomènes et de rapports à reconnaître par quelque voie que ce pût être. Enchaîner des sensations au delà des possibilités organiques de la bête fut d’un premier élan dans des directions inconnues. De problèmes et de solutions à venir, où donc les moyens d’en faire état ?

Le grand pas, semble-t-il, fut d’une irrésistible poussée, d’ima-