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AU SOIR DE LA PENSÉE

raient constituer une heureuse préparation aux mouvements de grandeur d’âme qui demandent un ordre raffiné d’intelligence autant que de sensibilité. On n’en saura jamais trop pour bien faire, ou pour essayer simplement de faire mieux.

Ce n’est pas que l’appât de la rémunération et la crainte du châtiment n’aient leur poids dans les parties inférieures de la conscience humaine. Mais au lieu de placer toutes nos activités sous leur dépendance, le problème ne serait-il pas de nous en détacher progressivement, comme le voudrait l’idée que le sacrifice porte en soi la plus belle récompense ? Ainsi se pourraient mettre à leur juste échelle d’humaine émotivité l’heureuse ou malheureuse issue d’un acte principalement déterminé par des motifs de noble inspiration. Telles qu’on nous les fait apparaître encore aujourd’hui, les sanctions dont prétend disposer l’Église ne représentent qu’un assez bas étiage de moralité primitive, — loin de favoriser l’effort évolutif d’une abnégation supérieure. Est-il besoin d’ajouter que la culture de notre temps n’y saurait plus voir que d’informes vestiges des fables primitives dont les hommes éclairés de nos jours ne peuvent plus parler qu’en souriant ? Assez de nos contemporains déjà commencent à comprendre que, pour une âme haute, la plus pure récompense est de se sentir au-dessus des récompenses, et que le plus sûr châtiment de la déchéance est d’une aggravation de récidives qui finissent par ravaler l’homme au-dessous de l’animalité.

« Le bonheur et la noblesse humaine, écrit Renan, ont jusqu’ici reposé sur un porte-à-faux. » Comment en pourrait-il aller d’autre sorte, puisque nous devions commencer par ignorer, et que ce fut un progrès même d’en venir à méconnaître, premier pas vers cette moindre méconnaissance que nous dénommons vérité. Le problème est bien moins du « porte-à-faux » lui-même, d’abord inévitable, que de s’en accommoder puérilement, au mépris de l’observation des choses, pour la gloire du moindre effort. S’il y eut une Révélation, pourquoi ne fut-elle pas totale et définitive, afin de nous faire à la fois instruits et excellents. Telle qu’on nous la présente, avec ses puérilités théâtrales, c’est, de la Toute-Puissance, un effort toujours à recommencer, à rectifier, sous les critiques de l’expérience humaine à qui doit demeurer le dernier mot. Le « porte-à-faux » de Renan consiste simplement