Page:Clemenceau - Au soir de la pensée, 1927, Tome 1.djvu/178

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
171
LES DIEUX, LES LOIS

conquistadors ont plongé l’Amérique du Sud dans une épouvante d’anéantissement, par des massacres en masse, par des supplices sans nom ? N’a-t-il pas fallu attendre jusqu’au commencement du dix-neuvième siècle pour la fin des autodafés sous l’effort des philosophies ? Quel aveu qu’un délire de tortureurs ait pu étre candidement dénommé « acte de foi » !


Faillite du Ciel.


Et c’est dans cette immense banqueroute des réalisations chrétiennes, sous les regards de l’impuissant Galiléen, aux applaudissements du sacerdoce, que quelques dégénérés de lettres ont pu se délecter dans la bouffonnerie d’une « faillite de la science », c’est-à-dire de la connaissance d’observation. Et c’est après de tels achèvements que l’Église se présente comme se trouvant seule en état de fournir les sanctions nécessaires à la mise en œuvre d’une doctrine de moralité ! Ces sanctions, c’est l’indéterminé paradis de l’humanité primitive, en contraste des horreurs d’un séjour infernal, avec la transaction hindoue d’un purgatoire, pour entretenir la prospérité d’indulgences propres à bercer d’espoir les âmes désespérées. Tout moment de l’histoire suffit à en juger l’efficacité. « Pour la lutte de la vie, il faut deux choses : des armes et du courage. La science nous a promis des armes : elle nous les a données. Si nous n’avons pas le courage de nous en servir, ce n’est pas elle qui fait faillite, c’est nous[1]. »

Au vrai, l’étendue de la connaissance, sans impliquer une correspondance parfaite avec l’état de moralité, comme le fait trop bien voir l’exemple de Bacon, n’en ouvre pas moins de nombreux accès aux développements communs des idées d’équité générale et de désintéressement personnel où s’exprime une dignité de l’homme sous la dénomination de « vertu ». L’ignorance, les méconnaissances ataviques des âges rudimentaires, ne sau-

  1. Henri Poincaré.