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AU SOIR DE LA PENSÉE

nité à conduire par le Tao, « la droite voie » ? N’est-ce donc pas l’entr’aide par excellence ? L’aumône la plus vulgaire, sous quelque forme qu’elle se présente, n’est-elle pas le seul geste qui compte d’une pitié du prochain ? Si l’homme osait se confier davantage à cette pente, que de joies inattendues, et, par là, quel retour d’aide personnelle lui serait accordé !

Nul n’a clamé plus haut que la Chine la nécessité de l’amour d’autrui. « D’où viennent tous les troubles, demande Mei-ti ? De ce qu’on n’essaie pas de s’entr’aimer. » Que le mot Chou signifie aimer son prochain comme soi-même ou estimer autrui à la mesure dont on use pour soi, le sentiment peut-il être douteux ? Le Tao chinois et le Shinto japonais ne se rencontrent-ils pas dans les mêmes recommandations ? Qui donc a jamais proposé de rien fonder sur la haine d’autrui ? Caritas generis humani, voilà ce qui est de l’homme, avec ou sans ses Dieux ! Tous les humains disent de même. Hélas ! ils ne s’accordent que trop bien pour céder à la loi du moindre effort à l’heure des réalisations. Néron jamais ne proclama qu’il est bon de tuer sa mère. Il se contenta d’être parricide de propos délibéré. Même, il trouva des « sages » pour l’en louer.

Bien volontiers je rends hommage à nos Églises pour des prédications d’amour qui sont de tous les temps. Mais c’est au résultat positif que nous devons nous attacher. N’est-il pas d’une aveuglante lumière ? Non seulement les « disciples » du Christ se sont rués, fer en main, sur tout ce qui n’acceptait pas leur croyance, mais ils se sont massacrés férocement entre eux au nom de leur propre religion d’amour, sous les insignes mêmes de Celui qui leur avait expressément recommandé de s’aimer.

Pour des interprétations de mots, les innombrables hérésies furent noyées dans le sang. Au nom même de l’amour évangélique, les pires violences se sont déchaînées pour étouffer toute liberté d’aimer son prochain en d’autres formes que celles admises parle sacerdoce « infaillible ». Entre chrétiens, des guerres de religion[1] ont surgi, se sont développées, glorifiant la dévastation des territoires et le meurtre organisé. Lisez plutôt Montluc. Les bûchers de l’Inquisition ont fait pâlir les lueurs des torches chrétiennes de Néron. C’est au nom de leur Église que les

  1. Quoi de plus suggestif que l’antinomie des deux termes ?