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AU SOIR DE LA PENSÉE

bon ou de mauvais gré, des assouplissements d’émotivités.

États de mentalité, états de moralité humaine et divine, parce qu’ils sont de mêmes origines, se développent de nécessité en des formations parallèles. L’homme a fait le Dieu à son image, mais différent puisque agrandi hors de toutes proportions. Une fois établi dans son domaine, chacun ne peut que suivre la loi de son évolution. L’impuissance de l’un et la toute-puissance de l’autre vont créer des relations inéluctables. Hommes et Dieux ne pourront que s’abandonner aux développements de leurs composantes dans leurs rapports de réciprocité. L’humain recevra fatalement, du Ciel, le retour des élans d’idéalisme qu’il y aura projetés.

Cependant, l’incapacité où il se trouve de maintenir le rêve dans les développements de sa relativité lui fera très vite découvrir la discordance des réalisations humaines avec les faciles prescriptions d’une Divinité, pour qui personnellement vice ou vertu ne peuvent avoir de sens que par une assimilation d’humanité. Il en prendra son parti sans trop de peine, et ne manquera pas de concilier verbalement toutes contradictions en s’attachant à compenser l’insuffisance de ses belles paroles par la secrète jouissance de ses imperfections. Ainsi les joies communes seront principalement d’une magnificence d’idéalisme parlé, dont se glorifiera l’empirisme vécu. C’est ce qu’on voudra nous donner pour les fondements de notre morale, par le moyen des sanctions terrestres et des hypersanctions divines plus impitoyables que les nôtres — même avec la précieuse contre-partie d’une éventuelle félicité si ténue qu’on n’essaye pas même de nous la faire vaguement discerner.

Cependant, les Dieux, et les sous-Dieux qui leur font cortège, trônent à bon compte dans un domaine où nul écart ne peut aboutir à des sanctions. Il y eut, cependant, le cas de Satan, frère de l’Ahriman zoorastrien, qui, de sa presque perfection d’archange, se fit un tremplin pour faillir. Rien de moins encourageant, pour notre imperfection caractérisée. D’autant que l’ange déchu promu au grade supérieur de tourmenteur en chef, doit se consoler en pensant que, s’il n’avait pas failli, la Suprême Puissance était désarmée de ses châtiments au regard de l’homme créé pour être déchu. N’essayons pas de pousser trop loin nos chances de compréhen-