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AU SOIR DE LA PENSÉE

Issus d’une attribution de volonté humaine aux mouvements mondiaux qu’ils personnifient, nos Dieux — de primitive grossièreté ou de métaphysique raffinée — n’ont jamais pu que revêtir les formes d’une humanité agrandie. C’est l’anthropomorphisme dans tout l’éclat d’une pleine évidence, si bien caractérisée par l’éclosion des mythes hindous et helléniques[1], où d’excellents demi-Dieux font office de transitions entre l’homme et ses Divinités. Dans la même tradition, nos braves « Saints » sont demeurés d’un stage intermédiaire. D’instinct, le fidèle court à eux comme à des truchements voisins.

L’évhémérisme, avec sa théogonie de héros divinisés, a suffisamment caractérisé le problème. Notre juste vénération des hautes intelligences dont le labeur solitaire a succédé aux bruyants travaux d’Héraklès, fut le naturel point de départ de ces demi-divinisations d’un anthropomorphisme romancé. Le Bouddha, le Galiléen, le Bab, sont des derniers nés de cette surhumaine aventure dont l’achèvement suit présentement son cours.

Pour ce qui est de la mentalité divine, comment l’homme aurait-il pu la concevoir sur un autre modèle que le sien ? Les colères de Jahveh[2], de Zeus, et de toutes Divinités, à leurs heures, sont d’hommes tout-puissants. Enfin, les imprévisions des Dieux ne dénoncent-elles pas l’estampille humaine ? Après avoir à maintes reprises constaté que sa création était « bonne », Jahveh a vu faillir Adam et sa progéniture. Sans le bateau de Noé, il détruisait l’homme après l’avoir créé.

Nos primitives représentations de la Divinité, plus proches d’une humanité, à tout moment quémandeuse et par là même familière, eurent leur tribut d’honneurs, comme celles de toujours, en des formes multipliées. Tout un commerce d’offrandes et d’hommages, gracieusement acceptés. Ce spectacle nous est suffisamment connu. Donnant, donnant. Parfois, l’homme déçu se tournait vers quelque autre puissance pour tenter à nouveau l’aventure. Aujourd’hui encore, l’Africain ne bâtonne-t-il pas son fétiche négligent[3] ?

  1. Dans l’Hellade même, le commerce charnel des Dieux et des créatures humaines prit les proportions que l’on sait.
  2. Dies iræ.
  3. Il n’y a pas que les « sauvages » à battre leurs Dieux, à les vilipender,