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AU SOIR DE LA PENSÉE

Mithra avait des Mystères. Cela n’est pas pour nous surprendre. M. Goblet d’Alviella[1] nous a brièvement retracé l’histoire de ce Dieu, qui fut d’aventures en dehors des données de l’Avesta. La grande stèle du Louvre, dont les répliques ne sont pas rares, nous montre le sacrifice mithriaque du Taureau zodiacal dont le sang doit assurer la vie éternelle aux justes ressuscités.

C’est dans l’astrolâtrie des Chaldéens de Babylone que Mithra reçut l’initiation d’une Divinité solaire. Aussi ses mystères furent-ils de symbolisme astronomique. Importé du Pont-Euxin, sous Auguste, par des pirates faits prisonniers sur les côtes de Cilicie, il connut la misère des bas-fonds de Rome, comme le christianisme à ses débuts. Avec son culte du feu, Mithra gagna les esprits par sa diffusion dans l’armée. C’était le temps de la grande bataille des Dieux, qui n’a pas encore trouvé l’historien philosophe qu’elle mériterait.

Si le monde gréco-romain était devenu mithriaste, et que le culte initial se fût transformé pour s’adapter aux formations mentales du temps, ainsi qu’il advint du christianisme primitif, est-il bien sûr que c’eût été une aussi grande révolution qu’on peut l’imaginer ? Des changements de noms plutôt que d’idées ! Intercesseur, Médiateur, Rédempteur, Mithra, dont Julien fut, en somme, le plus brillant disciple, nous apportait un culte de monothéisme où l’astre de lumière finit par s’élever — ironie des choses — au rang d’une représentation de l’Invisible. Il excluait les femmes, à qui le christianisme préparait une si belle revanche avec sa Vierge-Mère, importation de l’Asie.

La puissance de la séduction féminine devait finalement maîtriser les cœurs. La totale déroute du mithriacisme fut aussi soudaine et aussi générale qu’avait été sa conquête. Au Dieu vaincu, la consolation de penser que si le verbalisme de son culte fut emporté dans sa défaite, il n’y aurait rien eu de changé, dans l’histoire, qu’un nom et des légendes sur un même fond d’émotions généralisées. En fin de compte, l’heureux Mithra n’eut pas le temps de choir dans les violences d’une sauvagerie cultuelle. Et c’est à l’infortuné Galiléen triomphant, dont toutes les paroles avaient été d’amour, qu’échut le funeste

  1. Les Symboles.