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LES DIEUX, LES LOIS

monde, pour la lutte du bien contre le mal (Ahriman), selon l’Avesta, ils doivent adresser au moins seize prières par jour, et se laver soigneusement avec de l’urine de vache tous les matins. C’est le Nirang qu’on boit même à certains moments en vue d’une purification. Point de prédication en langue vulgaire. Au temple, les invocations se font en zend, langue de Zoroastre, que personne des fidèles ne comprend. La plupart de leurs prêtres mêmes ne sauraient traduire leurs textes sacrés. Nulle trace d’un culte du feu, ni du soleil. Mais un sentiment de muette vénération. Tout le monde rend hommage à l’intelligence commerciale des Parsis. Très cultivés et fort amènes (j’en puis témoigner), ils ont été les maîtres du commerce de Bombay. Dans leur « Tour du silence », ils font dévorer leurs morts par les vautours, pour ne pas souiller la terre en les y déposant, ni le feu même en les brûlant. Chassés de leur pays, ils ont emporté leurs rites, dernière forme du patriotisme persan, et c’est chez eux que notre héroïque Anquetil-Duperron a découvert les textes sacrés des âges zoroastriens. Ils ne se disent pas expressément adorateurs du feu : cependant c’est le seul peuple de l’Orient qui ne fume pas. Ils répugnent même à l’idée d’éteindre une lumière.

Par l’afflux croissant des « Barbares » d’Asie dans les légions romaines, le culte solaire de Mithra balança, un moment, la fortune du christianisme, aux premiers siècles de notre ère. Je vous présente le Dieu Mithra, l’un des plus anciens dont le nom survive dans l’histoire. Antérieur à la séparation des Perses et des Hindous, il est à la fois des Védas et de l’Avesta. Il y a plus de quinze siècles on le vit régner des bouches du Gange à la Mauritanie, aux Gaules, à la Grande-Bretagne ; Du monde gréco-romain, au premier siècle de notre ère, il était encore à peu près inconnu. Au cinquième siècle, totale disparition. Il paraît qu’on trouve des vestiges de son passage dans le Manichéisme, dont le propos fut de concilier Zoroastre et Jésus-Christ. Renan nous dit que la défaite du christianisme nous eût faits mithriastes. Max Muller avait déjà pu écrire que, sans la victoire de Salamine, notre culte eût été, sans doute, zoroastrien. Rien ne montre mieux à quels événements d’humaine contingence est attaché le sort des Dieux et de leurs humains fabricateurs.