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LES HOMMES, LES DIEUX

pas correspondu aux espérances. De cela, plusieurs raisons. D’abord, la sorte d’instruction distribuée à notre jeunesse, malgré de notables progrès, est encore trop d’a priori pour qu’on en puisse attendre une évolution de positivité à bref délai. Il ne suffit plus de dire : « je crois. » Le problème est de s’assimiler des connaissances expérimentales, et d’en tirer courageusement des conclusions personnelles pour l’activité d’une vie nouvellement orientée. Une telle entreprise est à répercussions fatalement lointaines. Elle veut du temps, beaucoup de temps, pour la formation d’esprits affranchis de la rigidité des ascendances, et surtout pour les changements de réflexes qui sont l’armature de la vie.

Jusqu’ici, notre principal effort a été de rapprocher, de « concilier » deux sortes d’éducations contradictoires. L’une, d’a priori, offerte comme fondement universel de toutes les décisions capitales de l’existence. L’autre, d’un répertoire de connaissances positives d’où toute conclusion positive est bannis, pour ne point heurter les contreparties du dogmatisme ancestral auquel, par tant d’intérêts d’ordre social, les familles demeurent attachées.

Qu’en advient-il ? C’est que le plus clair résultat se trouve d’un enseignement d’existence à double face dont l’enfant saisit trop vite les commodités générales pour être tenté de s’en départir. N’est-ce pas la famille qui a formé le foyer par la réglementation implicite de toutes émotivités ? Est-ce donc de la famille, et surtout des influences féminines profondément inspirées de l’esprit de conservation, qu’on peut attendre des initiatives d’audacieux changements ? On ne manquera jamais de raisons pour justifier la trop facile défaillance des caractères, et l’ajuster aux permanences d’intérêts par lesquelles le monde social est dominé.

Et puis, chacun va-t-il vraiment se donner tant de peine pour établir rigidement le bilan de sa propre pensée au risque de toutes conséquences ? Il est si commode de se laisser vivre, quand, des deux pôles de la vie humaine, l’imagination et l’avantage prochain, toutes les puissances concourent, avec les séductions du moindre effort, en faveur d’une « paix » de l’heure présente, à travers les incessantes déceptions de la vie.

— Laissez-nous espérer, gémit une dolente plèbe. Si votre vérité nouvelle doit nous paraître dure, n’empêchez pas qu’on