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DANS LE MOMENT QUI FUIT…

à ses questions ailées, et fatigue l’horizon de ses vœux pour l’annonce, toujours différée, d’un retour. Son émotion de lui-même et du monde veut être apaisée. Le bercera-t-on de rythmes de somnolence ? Dans l’apathie des naissantes pensées, quelle place pour les ardeurs de la vie ? L’enchantement des mots harmonieux charme un temps de l’éveil. Cependant, nous sommes sous les détentes d’une nécessité d’agir. Bourdonner dans le vide, ou entrer, par la connaissance, dans l’ordre des développements dont je suis un passage ? Que faire de ces chocs d’inconnu qui me viennent de l’inaccessible étendue, pour pénétrer au plus profond de mon être et retentir au delà ?

Connaître pour vivre le plus possible, jusqu’à me dépasser moi-même — en imagination tout au moins. Misères et grandeurs, extrémités des mouvements vécus, qu’en attendre et qu’en faire ? À quelles fins les conduire, et comment ? Grandir pour moins pâtir, n’est-ce pas l’espérance où s’attache le lendemain ? S’il y a dans le ciel le secret d’une étoile polaire de l’intelligence humaine, où et comment la rencontrer ? Car je ne suis qu’une chose des choses, dans l’indifférence de l’univers. Perdu dans le monde et dans moi-même, je cherche une clef de rapports.

Ces grondements marins qui me hantent ne sont-ils pas une voix à comprendre ? Ces lames bouillonnantes de joies ou de colères, se peut-il qu’elles n’aient pas de sens ? Quels chemins de la terre fleurie au suaire de ses glaces, aux menaces de ses ouragans ? qu’exprime une tempête ? Que dit une sérénité des éléments ? Autour de nous, une ruée de volontés d’être, en réplique à des volontés ennemies ? De quelles chaînes m’y trouvé-je lié ? De tant de douleurs, de tant d’extases, qu’est-ce que cet implacable faisceau du pire et du meilleur ?

Ne parlera-t-elle pas, cette voûte fantômatique qui offre et refuse à la fois des réponses où je ne trouve qu’un abîme de problèmes ? Où nous convient ces clignotements d’étoiles, entremetteuses de l’espace et du temps ? Comment disposera de nous ce soleil prometteur, si prompt à décevoir ? Ne recèle-t-il pas dans ses feux l’énigme du devenir ? Aux détours du labyrinthe ou nulle régression n’est possible, y a-t-il ou n’y a-t-il pas d’issue ? En quelles formes, et pour quels résultats