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LES HOMMES, LES DIEUX

régler l’essor de ces folles envolées. Les poètes chantaient, et les hommes se laissaient ravir à l’extase. Mais il fallait retomber sur la terre, où la prose attendait son jour.

Peut-on vraiment s’étonner si la morale de l’Olympe n’était pas exemplaire ? En pouvait-il être autrement, lorsqu’une simple conjugaison de phénomènes se traduisait en l’union, plus ou moins scandaleuse, de personnages divinisés ? Pour expliquer l’immoralité des mythes helléniques et les unions trop libres dont les chrétiens faisaient si grand tapage, on a voulu que les cultuels de ces âges n’aient vu dans leurs Divinités que les objets ou les phénomènes représentés : astres, nuages, vents, mers, fleuves, montagnes, forêts, dont les rencontres symboliques étaient, comme un problème de mécanique, étrangères à toutes questions de moralité. Pour les obscurs débuts du mythe, cela ne paraît pas probable, puisque ce serait renverser l’opération mentale qui fit un Dieu d’un fleuve ou d’une montagne. Il fallait, au contraire, qu’avec le temps, la dépersonnalisation du mythe en vînt à s’accomplir. La moralité grecque peu différente de la nôtre, mais moins prompte à s’alarmer, peut-être, était exempte de tartuferie. Mêmes spectacles de l’Olympe et de la terre habitée.

Avec les âges, la foi active des païens vint sans doute à décroître, comme celle des chrétiens d’aujourd’hui, ainsi que l’exige la loi d’universelle évolution. Mais, de tout temps, quand l’Hellène disait Arès, Aphrodite, Héphaistos ou Poseidon, il voyait une magnification du personnage humain, comme en témoigne le théâtre d’Aristophane, et le voulait humain de tous les points de vue. Pourquoi s’étonner des folles amours de Zeus, ou de la fameuse surprise d’Arès et d’Aphrodite sous le filet d’or de l’époux offensé ? Mêmes organismes, mêmes activités de la vie.

L’évolution de la morale est depuis assez longtemps reconnue, pour que nous n’éprouvions pas trop de surprise à voir les humains, créateurs de mythiques Divinités, s’accommoder paisiblement de mœurs dont la pratique était alors, comme aujourd’hui, de la commune humanité. Les monarques d’Asie nous ont donné de leur éthique de regrettables témoignages. Les Ptolémée se faisaient un devoir d’épouser leur sœur. Et quand Auguste envoyait simplement sa litière aux grandes dames romaines qu’il voulait honorer de ses faveurs, il ne faisait que