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DANS LE MOMENT QUI FUIT…

s’accommoder à la vie sans trop de surprises, sous le feu croisé des exclamations ingénues et des réponses dogmatiques que ses bégaiements d’incertitude reçoivent d’oraculaires ignorances. Oracles du Maître, oracles du Livre : toutes les formules de « révélations » n’ont besoin, d’abord, que d’être à la mesure des incompréhensions successives.

Pénétrer au delà de cette écorce de « connaissance », s’essayer à la volonté de son propre effort, ainsi se présente le drame suprême de vivre, avec ses alternatives d’héroïsmes et de défaillances, au combat de chaque journée. Lisez l’histoire de ceux qui ont osé. Comparez avec l’heureuse hébétude des rites réalisateurs des accommodations de féeries accessibles aux intelligences d’enfantines émotivités.

Cependant, la vie épuise la succession de ses heures, acceptée par la foule comme une sorte de au jour le jour — et l’échéance arrive, par surprise, d’un compte dont les éléments se sont évanouis. Désarroi des esprits qui ont affronté, sans rien prévoir, le choc de tous les assauts de la vie, et frémissent d’effroi aux reposantes anticipations du grand relâche d’oubli.

S’ils avaient essayé de connaître ? Mais trop périlleuse leur a paru l’aventure de savoir. Trop longtemps ont-ils rejeté les « démoniaques » tentations de comprendre, et maudit, persécuté, supplicié ceux qui les leur venaient offrir. Ils ont préféré s’aligner, en queue de théâtre, au guichet des fantastiques représentations d’un drame d’autant plus merveilleux que chacun n’en peut attendre que la satisfaction verbale d’un rêve sans linéaments de positivités. Aussi, ne voilà-t-il pas qu’aux approches des félicités attendues, chacun de ne rien épargner pour obtenir l’ajournement du rideau. Criant aveu !

Cependant, des hommes à la « triple cuirasse d’airain » n’ont pas craint d’affronter le monde de questions auxquelles il a été plus ou moins topiquement répondu. Même échouant, ils auraient eu le mérite d’avoir tenté. Mais ils n’ont pas échoué. Sans la crainte d’aucun châtiment, sans l’appât d’aucune récompense, ils ont tout donné d’eux-mêmes à l’œuvre désintéressée. Par eux, la vie aura lancé des flèches de connaissance en direction du fuyant inconnu, et fait retentir de leur choc les sphères mêmes de « l’inconnaissable ». Notre terre, enfin, ne va-t-elle pas se soustraire à la domination des naufragés de