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DÉMOSTHÈNE

mépris sur lui-même puisqu’il se donnait tout entier ?

Dans le fond de son cœur, espéra-t-il toujours contre l’espérance, ou se fit-il un point d’honneur de l’éternelle revendication d’une patrie dont il avait sauvé l’idéal ? Il ne me semble pas que, dans son âme, la question ait jamais pu se poser si médiocrement. Il voulut jusqu’au bout : c’est tout ce qu’on peut dire. Il put voir dès les premiers jours que le courage militaire se prodiguait en vain si le courage civil n’osait le mettre en œuvre. A travers tout, il sentit qu’il n’y a pas de défaite pour les grands cœurs. Ainsi lui fut épargné le tressaillement du doute au spectacle affreux d’une vie d’idéalisme précipitée au gouffre des causes perdues. C’est l’une des plus belles leçons qu’il nous ait laissées.

Pascal, qui a tout senti, nous montre les puissants du monde projetés hors d’eux-mêmes par l’exercice du pouvoir qui les détourne d’un jugement intérieur, pour les laisser misérables, dans leur chute, parce que personne ne les empêche de songer à eux-mêmes. Un beau coup d’estoc dans les entrailles de la misère humaine. Démosthène, qui ne connut d’autres impulsions que de sa noble cause, est invulnérable de ce côté. Il souffrit, il lutta, il fut vaincu, sans s’être laissé distraire un moment du sacrifice complet qu’il avait fait à sa