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lord fut grandement frappé des charmes d’Emilie. De retour chez lui, il pensa aux moyens de la posséder ; il informa son valet de chambre, qui était son confident et son mercure, de l’impression que cette jeune personne avait faite sur lui ; il lui promit une récompense considérable s’il pouvait la lui procurer : l’appât était très séduisant ; il lui répondit qu’il allait tout employer pour l’accomplissement de ses souhaits ; il commença son attaque par lui adresser une lettre dans laquelle il lui marquait : « qu’il avait souvent contemplé ses charmes avec ravissement ; qu’il s’était flatté de pouvoir vaincre sa passion, mais qu’il s’apercevait qu’il lui était impossible de lui cacher plus longtemps son amour ; qu’il se jetait à ses pieds et implorait sa miséricorde ; que son destin était entre ses mains et qu’il la conjurait de décider, à son gré, de son sort ; qu’il préférait la mort à une vie de tourments perpétuels, que la belle main de l’aimable Emilie pouvait seule adoucir. » La jeune personne lut cette épître avec émotion ; d’un côté, sa vanité était en quelque sorte satisfaite d’avoir fait la conquête d’un beau jeune homme qu’elle savait venir dans le magasin de son père ; de l’autre part, sa pitié et sa compassion la portaient à plaindre son tourment : elle consulta donc une dame en qui elle avait confiance pour savoir comment elle devait agir dans une pareille circonstance. Le valet de chambre du lord L…n n’était pas à mépriser ; il était le grand favori de son maître ; rien ne se faisait dans la maison que par ses ordres ; il dirigeait tout et même milord par-dessus le marché. Comme milord avait beaucoup de crédit à la cour, Emilie ne doutait point qu’il ne procurât un fort bon emploi à son valet de chambre : dans tous les événements, elle serait bien mariée et c’était la principale des choses qu’elle désirait depuis longtemps. Elle lui fit, en conséquence, une réponse qui, quoique équivoque, donnait