Page:Cleland - Mémoires de Fanny Hill, femme de plaisir, 1914.djvu/275

Cette page n’a pas encore été corrigée

et accommoder ainsi une nombreuse société ; et, si attentives que fussent mes recherches, je ne trouvais pas l’ombre d’un trou par où je puisse regarder, circonstance qui n’avait sans doute pas échappé à mes voisins, car il leur importait fort d’être en sûreté. À la fin, pourtant, je découvris une bande de papier de même couleur que la boiserie et que je soupçonnais devoir cacher quelque fissure ; mais alors elle était si haut que je fus obligée, pour y atteindre, de monter sur une chaise, ce que je fis aussi doucement que possible. Avec la pointe d’une épingle de tête je perçai le papier d’un trou suffisant pour bien voir ; alors, y collant un œil, j’embrassai parfaitement toute la chambre et pus voir mes deux jeunes gens qui folâtraient et se poussaient l’un l’autre en des ébats joyeux et, je le croyais, entièrement innocents.

Le plus âgé pouvait avoir, autant que j’en pus juger, environ dix-neuf ans ; c’était un grand et élégant jeune homme, en frac de futaine blanche, avec un collet de velours vert et une perruque à nœuds.

Le plus jeune n’avait guère que dix-sept ans ; il était blond, coloré, parfaitement bien fait, et, pour tout dire, un délicieux adolescent ; à sa mise aussi on voyait qu’il était de la campagne : c’était un frac de peluche verte, des chaussures de même étoffe, un gilet et des bas blancs, une casquette de jockey, avec des cheveux blonds, longs et flottants en boucles naturelles.

Le plus âgé promena d’abord tout autour de la chambre un regard de circonspection, mais avec trop de hâte sans doute pour qu’il pût apercevoir la petite ouverture où j’étais postée, d’autant plus qu’elle était haute et que mon œil, en s’y collant, interceptait le jour qui aurait pu la trahir ; puis il dit quelques mots à son compagnon, et la face des choses changea aussitôt.