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oubliant les recommandations de Mme Cole, elle se remit entre ses mains avec une aveugle confiance, décidée à le suivre n’importe où. Pour lui, également aveuglé par ses désirs et mieux trompé par l’excessive, simplicité d’Emily qu’il ne l’eût été par les ruses les plus adroites, il supposait sans doute qu’il avait fait la conquête d’un petit innocent comme il le lui fallait, ou bien de quelque mignon entretenu, rompu au métier, qui le comprenait parfaitement bien et entrait dans ses vues. Quoi qu’il en soit, il la mit dans une voiture, y monta avec elle et la mena dans un très joli appartement, où il y avait un lit ; mais que ce fût une maison de bains ou non, elle ne pouvait le dire, n’ayant parlé à personne qu’à lui-même. Lorsqu’ils furent seuls et que son amoureux en vint à ces extrémités qui ont pour effet immédiat de découvrir le sexe, elle remarqua ce qu’aucune description ne pourrait peindre au vif, le mélange de pique, de confusion et de désappointement dans sa contenance, accompagné de cette douloureuse exclamation : « Ciel ! une femme ! » Il n’en fallut pas plus pour lui ouvrir les yeux, si stupidement fermés jusque-là. Cependant, comme s’il voulait revenir sur son premier mouvement, il continua à badiner avec elle et à la caresser ; mais la différence était si grande, son extrême chaleur avait si bien fait place à une civilité froide et forcée qu’Emily elle-même dut s’en apercevoir. Elle commençait maintenant à regretter son oubli des prescriptions de Mme Cole de ne jamais se livrer à un étranger ; un excès de timidité succédait à un excès de confiance et elle se croyait tellement à sa merci et à sa discrétion qu’elle resta passive tout le temps de son prélude. Car à présent, soit que l’impression d’une si grande beauté lui fit pardonner son sexe, soit que le costume où elle était entretînt encore sa première illusion, il reprit par degrés une bonne part de sa chaleur ; s’emparant