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Sur le palier du premier étage, nous rencontrâmes un jeune gentleman, extrêmement bien mis et d’une jolie figure : c’était lui qui devait le premier m’initier aux plaisirs de la maison. Il me salua avec beaucoup de courtoisie et, me prenant par la main, m’introduisit dans le salon, dont le parquet était couvert d’un tapis de Turquie et le mobilier voluptueusement approprié à toutes les exigences de la luxure la plus raffinée ; de nombreuses lumières l’emplissaient d’une clarté à peine inférieure, mais peut-être plus favorable au plaisir que celle du grand jour.

À mon entrée dans la salle, j’eus le plaisir d’entendre un murmure d’approbation courir dans toute la compagnie, qui se composait maintenant de quatre gentlemen, y compris mon particulier (c’était le terme usité dans la maison pour désigner le galant temporaire de telle ou telle fille), les trois jeunes femmes, en simple déshabillé, la maîtresse de l’académie et moi-même. Je fus accueillie et saluée par des baisers tout à la ronde ; mais je n’avais pas de peine à sentir, dans la chaleur plus intense de ceux des hommes, la distinction des sexes.

Émue et confuse comme je l’étais à me voir entourée, caressée et courtisée par. tant d’étrangers, je ne pus sur-le-champ m’approprier cet air joyeux et de belle humeur qui dictait leurs compliments et animait leurs caresses. Ils m’assurèrent que j’étais parfaitement de leur goût, si ce n’est que j’avais un défaut, facile d’ailleurs à corriger : ma modestie. Cela pouvait passer pour un attrait de plus, si l’on avait besoin de ce piment ; mais pour eux, c’était une impertinente mixture qui empoisonnait la coupe du plaisir. En conséquence, ils considéraient la pudeur comme leur ennemie mortelle et ne lui faisaient aucun quartier lorsqu’ils la rencontraient. Ce prologue n’était pas indigne des débats qui suivirent.