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Louise, la brunette piquante et dont je crois inutile de retracer ici les charmes, se mit alors en devoir de satisfaire la compagnie :

« Selon mes louables maximes, dit-elle, je ne vous révélerai point la noblesse de ma famille, puisque je ne dois la vie qu’à l’amour le plus tendre, sans que les liens du mariage eussent jamais joint les auteurs de mes jours. Je fus la rare production du premier coup d’essai d’un garçon ébéniste avec la servante de son maître dont les suites furent un ventre en tambour et la perte de sa condition. Mon père, quoique fort pauvre, me mit cependant en nourrice chez une campagnarde jusqu’à ce que ma mère, qui s’était retirée à Londres, s’y mariât à un pâtissier et me fît venir comme l’enfant d’un premier époux qu’elle disait avoir perdu quelques mois après son mariage. Sur ce pied je fus admise dans la maison et n’eus pas atteint l’âge de six ans que je perdis ce père adoptif, qui laissa ma mère dans un état honnête et sans enfant de sa façon. Pour ce qui regarde mon père naturel, il avait pris le parti de s’embarquer pour les Indes, où il était mort fort pauvre, ne s’étant engagé que comme simple matelot. Je croissais donc sous les yeux de ma mère, qui semblait craindre pour moi le faux pas qu’elle avait fait, tant elle avait soin de m’éloigner de tout ce qui pouvait y donner lieu. Mais je crois qu’il est aussi impossible de changer les passions de son cœur que les traits de son visage.

« Quant à moi, l’attrait du plaisir défendu agissait si fortement sur mes sens qu’il me fut impossible de ne point suivre les lois de la nature. Je cherchai donc à tromper la vigilante précaution de ma mère. J’avais à peine douze ans que cette partie dont elle s’étudiait tant à me faire ignorer l’usage me fit sentir son impatience. Cette ouverture merveilleuse avait même déjà donné des signes de sa précocité